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deux villes ? La halle du quartier des Acoules ne mérite peut-être pas tous les éloges qu’on lui a prodigués. Cependant il est impossible de méconnaître l’élégance et la légèreté de cette composition. Je n’examine pas si les panégyristes ont eu raison de vanter comme une invention de génie l’emploi du nombre impair dans la distribution des colonnes ; je laisse aux hommes du métier le soin de décider s’il a eu raison d’appuyer directement les arcades sur les chapiteaux corinthiens : ce sont là des questions purement techniques auxquelles la majorité des lecteurs prêterait sans doute une attention assez languissante. Ce qui demeure évident, c’est que la halle du quartier des Acoules pourrait offrir aux architectes de notre temps plus d’une leçon. Que voyons-nous en effet dans la plupart des édifices construits à grands frais pour les besoins généraux de la population ? Tantôt la destination est sacrifiée à l’aspect théâtral, tantôt la beauté des lignes est sacrifiée sans pitié à la destination. Or, si Puget n’a pas toujours réussi à concilier le double devoir de l’architecture, le beau dans l’utile, s’il n’a pas toujours montré un goût très pur dans l’accomplissement de cette double tâche, il est hors de doute qu’il s’en est toujours préoccupé ; les fautes qu’un œil exercé signale sans peine dans les édifices signés de son nom sont plutôt les fautes de son temps que les fautes de son génie, et les mérites qui les recommandent lui appartiennent tout entiers. Il a construit des chapelles, une église ; il a donné des projets pour des îles de maisons dans sa ville natale. Pourquoi le Musée ne s’empresserait-il pas de réunir toutes les manifestations de cette intelligence si laborieuse et si variée ? Bien que l’ignorance ait déjà défiguré à Marseille même, où le nom de Puget est un objet de vénération, plusieurs maisons dessinées de sa main, et dont il avait dirigé la construction, il serait possible encore de retrouver les traces vivantes de son imagination et de son savoir, et je me plais à croire que les disciples mêmes de la tradition grecque ne verraient pas sans plaisir et sans profit ces tentatives ingénieuses de conciliation entre les leçons de l’antiquité et les besoins de la vie moderne. Il est permis de sourire en écoutant les panégyristes de Puget ; il est permis de se demander comment et pourquoi les colonnes en nombre pair sont plus sérieuses que les colonnes en nombre impair, pourquoi les fidèles qui gravissent les degrés du temple acceptent le nombre huit, tandis que les ménagères qui vont au marché préfèrent le nombre sept. Ce sont là sans doute d’étranges puérilités. Toutefois le génie de Puget n’est pas responsable des louanges immodérées qui lui ont été prodiguées. Je ne m’arrête pas aux qualités arithmétiques de la halle aux poissons, et je suis convaincu que le modèle de cet édifice serait très bien placé dans une salle du Louvre.