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LA LITTERATURE


EN RUSSIE




IVAN ANDREEVITCH KRILOFF.
Polnoë Sobranié Sotchinenii (oeuvres complètes), 4 vol. in-8o, Saint-Pétersbourg.




C’est par une voie semée d’obstacles que la littérature en Russie a pu s’élever à l’expression complète et sincère du génie national. Les efforts et les luttes qui ont signalé cette laborieuse entreprise ne se retrouvent dans l’histoire littéraire d’aucun pays. Le vieux génie russe, qui a marqué d’une si vive empreinte les mœurs et les institutions de l’empire des tsars, n’a point laissé de monumens écrits où l’on pût retrouver et saisir l’inspiration nationale à sa source ; l’imitation des littératures étrangères n’a été au contraire, en Russie, que trop active. Quiconque veut interroger la pensée russe dans sa primitive indépendance est donc réduit à la chercher dans les coutumes et les traditions populaires ; les livres ne lui offrent que de vagues et incomplètes indications. De là, pour les poètes moscovites, un travail incessant, qui n’a son analogue dans aucune des littératures de l’Europe moderne : travail utile et curieux d’ailleurs, destiné à faire prévaloir l’interprétation libre et féconde des chefs-d’œuvre étrangers sur l’imitation servile, ainsi qu’à dégager l’originalité nationale du spectacle attentivement observé de la vie populaire. Ce travail, représenté par Pouchkine avec un éclat et une autorité que nul de ses compatriotes n’a encore égalés[1], a son expression familière dans les récits et les fables du conteur national dont nous voudrions ici indiquer le rôle et apprécier les œuvres.

L’histoire de la Russie, depuis ses origines jusqu’à l’époque d’Alexandre, à laquelle appartient Kriloff, nous fera comprendre les difficultés qu’ont eu à surmonter les poètes moscovites pour pénétrer jusqu’aux sources de l’originalité

  1. Une étude sur Pouchkine a paru dans la Revue du 1er octobre 1847.