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du sud déblatérant avec fureur contre les prisonniers. Or, comme je cherchais à part moi quels moyens mettre en œuvre pour sauvegarder ces malheureux jeunes gens, je rencontrai deux officiers d’état-major du corps d’Hunyade (un colonel et un chef de bataillon). Tous les deux avaient été placés sous mon commandement par ordre supérieur et sans égards pour le rang et l’ancienneté. Ils me dirent qu’ils venaient, en mon absence, de prendre le parti de faire escorter jusqu’à Pesth les personnages arrêtés, et le colonel, voyant que je cherchais à pénétrer le motif de cette résolution, affecta un grand mystère, en m’engageant à le suivre chez lui. Arrivé là, il m’expliqua le plus tranquillement du monde comme quoi lui et son camarade avaient essayé de faire subir aux deux Zichy le sort du comte Lamberg. « Monsieur le major que voilà prend le commandement de l’escorte, et se « charge de haranguer le peuple, et de l’exaspérer contre les prisonniers, qui « seront exprès conduits à pied pour faciliter la besogne à tous ces braves « gens qui vous ont si lestement naguère expédié le général Lamberg, et qui « sauront comment s’y prendre une seconde fois. » J’avoue qu’à ce moment je voulais à peine en croire mes oreilles. Après m’être inutilement efforcé de démontrer aux auteurs de cet infâme guet-apens l’indignité de leur complot, je me vis contraint d’user de mon autorité supérieure. Je contremandai donc leurs dispositions, ordonnant sous ma responsabilité personnelle que les prisonniers ne seraient point menés à Pesth, mais traduits sur les lieux devant le tribunal militaire qui statuerait légalement sur leur sort. »

Le conseil de guerre, en effet, s’assembla sous la présidence du commandant Arthur Goergei. Les deux nobles frères y comparurent. Paul Zichy, contre lequel, à ce qu’il paraît, l’instruction ne découvrit pas de preuves suffisantes, fut mis en liberté, tandis qu’Eugène, déclaré coupable à l’unanimité des voix, dut payer de sa vie le crime de haute trahison dont on l’accusait. Un sauf-conduit du ban trouvé dans les papiers du jeune comte et quelques exemplaires de deux proclamations adressées au nom du roi Ferdinand V, la première à la nation hongroise, la seconde aux troupes enrôlées sous le drapeau madgyar, servirent à motiver cette condamnation. Intelligence avec les ennemis de la patrie, participation à l’insurrection armée des Slaves du sud (Jellachich et les Slaves, des insurgés ! sans doute parce qu’ils se révoltaient contre les rebelles !), tels furent les deux points principaux sur lesquels s’appuya le verdict. Goergei assista à l’exécution de Zichy avec le même sang-froid, le même calme qu’il avait montrés en prononçant la sentence du tribunal. Cette ame hautaine et dédaigneuse fit voir en cette occasion, comme elle l’a d’ailleurs toujours témoigné depuis, qu’elle avait en elle trop d’amertume et de mépris des hommes pour jamais pouvoir s’intéresser au destin de l’un d’eux, quel qu’il soit. Debout en face de la potence où le jeune comte monte en héros, il assiste aux apprêts du supplice la tête haute, l’œil sévère, et seulement quand Zichy a rendu son dernier souffle, le juge, immobile