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cette injure, et s’il ne se révolta pas contre les décrets ministériels, si, par crainte de voir se disperser un corps d’armée vis-à-vis duquel il pouvait garantir encore par sa présence les principes soutenus dans sa proclamation de Waitzen, il ne s’éloigna pas, on peut dire que la sourde indignation de son ame passa dans son ordre du jour :

« Un arrêté du ministre de la guerre en date du 12 février 1849 place sous les ordres du lieutenant-général Dembinski le corps d’armée du Haut-Danube, qui prend désormais le nom de 16e division de l’armée royale hongroise.

« En portant ce fait à la connaissance de la 16e division, je recommande solennellement à tous les officiers sous mes ordres de supporter cette espèce d’humiliation avec le même calme que je mets à me désister de mon propre commandement et à me ranger, conformément à la décision du gouvernement, sous les ordres du lieutenant-général Dembinski, homme capable à ce qu’on assure et vieilli dans la carrière militaire. »

Ce document, on en conviendra, n’était point de nature à concilier à Goergei les bonnes grâces de son nouveau chef, et dès la première entrevue la glace fut brisée. À peine Goergei avait-il fini de lui présenter les officiers de sa suite, que Dembinski entama à son endroit une mercuriale des plus acerbes, ayant bien soin d’ailleurs de ne point perdre de vue, au milieu des récriminations, l’immensité du sacrifice qu’il faisait au salut de la patrie madgyare. « J’ai déposé le commandement en chef dans mon propre pays[1], s’écria-t-il, pour venir au secours de cette malheureuse nation, et je viens encore de sauver votre propre corps d’armée, dont vous ignorez jusqu’à la position. Savez-vous, par exemple, où sont vos divisions ? Non, monsieur, vous ne vous en doutez pas. Apprenez que, si je suis venu en Hongrie, c’est à cette seule condition que j’aurais le commandement en chef de toutes les forces hongroises, et que votre gouvernement m’a remis le pouvoir de vous faire fusiller pour peu que vous refusiez de m’obéir. J’ai voulu d’abord user de bienveillance, parce que je sais que c’est un crève-cœur pour tout Hongrois de servir sous un chef étranger ; mais aujourd’hui vous critiquez mes ordres au lieu d’y obéir, et je me lasse. » J’ai déjà parlé de l’humeur intraitable de Goergei. Lorsque le vieux Meszaros lui reprochait un jour d’avoir été créé et mis au monde uniquement pour donner un démenti au proverbe qui dit que quiconque prétend commander doit savoir obéir, Meszaros pouvait avoir raison ; mais cette fois le général Dembinski était-il bien venu à prendre ainsi des airs de Frédéric-le-Grand et à traiter en sous-officier raisonneur cet homme atteint au plus vif de son orgueil militaire et de ses susceptibilités patriotiques ? Une victoire en pareil cas eût beaucoup mieux valu qu’une gourmade,

  1. « Quel commandement ? observe Goergei. Le général Dembinski voulait-il par hasard parler de ce commandement in spe qui ne saurait manquer de lui échoir au cas d’une résurrection de la Pologne ? » Mein Leben, p. 214.