Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/929

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la guerre sur la rive droite du Danube. L’heure des résolutions suprêmes approchait. Georgei rêvait un coup de main survienne, lorsque l’apparition subite de la division russe Panjutine vint rendre impossible l’accomplissement de ce projet. Repoussé à Zsigard et à Péred, battu à Raab, il reçoit d’un chevau-léger, à la journée d’Acs, un violent coup de sabre sur la nuque, et n’a que le temps de se jeter dans Komorn.

Une telle irrésolution, une telle anarchie régnaient alors dans les conseils de la Hongrie, qu’au moment même où les forces combinées de la Russie et de l’Autriche envahissaient les divers points du territoire, pas un plan d’opérations n’avait pu être adopté du consentement unanime des généraux. Au lieu d’envoyer à Goergei des ordres catégoriques et d’exiger de lui, une fois pour toutes, une catégorique obéissance, au risque, s’il la refusait, d’exécuter rigoureusement la loi militaire en pareil cas, on intrigue, on ruse, on complote ; on n’ose le destituer ouvertement, on travaille à le supplanter. Ainsi à Komorn, tandis que le lion, encore tout sanglant de sa blessure de la veille, rugit sur son lit de douleur, Kossuth cherche à le garrotter. « Le 2 juillet 1849, immédiatement après la bataille, le général Klapka recevait, en même temps que tous les officiers de mon état-major, une dépêche du gouvernement qui les informait de la nomination du général Meszâros au commandement en chef de toutes les forces hongroises. Quant à moi, j’étais rappelé par Kossuth, et l’on m’invitait à m’appliquer exclusivement à la direction du ministère de la guerre[1]. » Ce Meszaros, fort impopulaire d’ailleurs auprès des officiers de l’armée, passait pour être l’alter ego du général Dembinski. On le voit, c’était la parfaite reproduction de la pièce déjà jouée à Kapolna. Kossuth se servait assez volontiers de l’émigration polonaise pour battre en brèche, de temps à autre, les chefs madgyars qui le gênaient. Le moyen pouvait être bon, seulement il n’eût point fallu en abuser. D’ailleurs les fiers Madgyars ne se laissaient pas faire. À Kapolna, on s’en souvient, tous les officiers de l’année de Goergei avaient pris parti pour leur jeune chef ; à Komorn, leur indignation fut la même. L’état-major tout entier signa une déclaration portant que l’année du nord était décidée à ne servir que sous les ordres de Goergei. Ce péremptoire manifeste, confié aux soins des généraux Klapka et Nagy-Sandor, fut remis par eux à Kossuth, qui s’excusa de son mieux en disant qu’on s’était mépris sur ses intentions, et qu’il n’avait voulu qu’amener Goergei à opter entre le portefeuille de la guerre et le bâton de commandant en chef.

En ce moment, Goergei eut véritablement dans ses mains le sort de la Hongrie. Libre de ses mouvemens, affranchi pour jamais du joug

  1. Mein Leben, t. II, p. 225.