d’un gouvernement inepte dont il venait de briser la dernière intrigue, il pouvait, sinon vaincre, du moins négocier encore avec autorité, et, par un acte de soumission solennelle, sauvegarder peut-être, en même temps que la vie de tous ses valeureux compagnons d’armes, l’existence nationale de son pays. Déclarer publiquement à la Hongrie ce que tant d’autres avaient intérêt à lui cacher : à savoir que toute espèce de résistance était devenue impossible ; puis, à la tête de soixante mille hommes de troupes aguerries, adossé sur la citadelle de Komorn, ce Gibraltar de l’Autriche, se réconcilier avec la couronne impériale, — il semble que c’eût été là mettre un noble terme à ces fastes tragiques, et bien des funérailles que la cloche d’Arad sonna plus tard eussent sans doute été évitées. Pourquoi Goergei hésita-t-il ? Qui l’arrêta ? Ce ne furent point à coup sûr ses illusions ; quant à des scrupules, est-il permis de les supposer chez un homme qui devait, à quelques semaines de là, remettre au fourreau, sans conditions, cette épée qui pouvait encore, à cette époque, obtenir beaucoup du monarque en s’abaissant devant lui ? « Tu nous réconcilieras avec l’empereur, » comment cette belle parole du chevaleresque Damjanich, un des paladins de sa table-ronde, ne revint-elle pas à son esprit ? Il pouvait être le Monk de cette révolution hongroise. Son royalisme bien connu, son dévouement au drapeau constitutionnel de l’Autriche, sa haine de la démagogie, tout paraissait lui indiquer ce rôle ; il hésita1, et n’en fut que le Dumouriez.
L’irrésolution de Goergei ne tarda pas à porter ses fruits. Incertain et flottant, il se décide enfin à subir l’inspiration d’un gouvernement qu’il méprise et qu’il a si souvent humilié. Le 11 juillet, Klapka reçoit ordre d’engager le feu pour masquer le gros de l’armée qui se dirige sur Grand Waitzen. Après trois jours de marches forcées, Goergei atteint cette dernière ville, et là ses reconnaissances lui démontrent qu’il doit renoncer à l’idée de rompre la ligne de bataille de l’armée russe. Il fallait se replier vers le nord. Nagy-Sandor lève trop tôt ses avant-postes, et les Russes, avertis du mouvement rétrograde des Hongrois, fondent sur Waitzen avant que les parcs d’artillerie aient eu le temps de passer le pont. Goergei se retourne avec sa réserve, accepte le combat qu’on lui livre, et finit par repousser l’ennemi jusque sur les hauteurs d’où il est descendu. Cette affaire du pont de Waitzen est restée dans la mémoire de tous ceux qui en furent témoins comme un des plus beaux traits de bravoure dont Goergei ait donné l’exemple. Huit grenades russes, en éclatant à ses pieds, avaient incendié le pont, et lui, pâle et superbe, multipliant les coups de sabre et les houras, électrisait par sa présence ses hardis pionniers, qui reprenaient courage en voyant de loin en loin l’héroïque Madgyar dans son attila rouge apparaître au milieu de l’embrasement et des balles.