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à son réveil ceux dont il avait rêvé, on comprend avec quelles secrètes angoisses les grands de sa cour appelaient la mort du nouvel Henri IV ; mais, dans l’opéra, leurs grâces se livrent à la plus amère désolation ; elles n’en sont tirées que par la réapparition du bien-aimé Christophe, qui, effectivement, a failli périr par un faux pas de son cheval et n’a dû la vie qu’à la vigueur et à l’audace du jeune Zulimbo.

Dans la réalité encore, Christophe eût fait battre en brèche (c’est l’expression dont il se servait en pareil cas), c’est-à-dire sabrer son cheval pour le punir d’avoir mis d’augustes jours en danger, en même temps qu’il aurait fait signifier au commandant de l’arrondissement[1] d’avoir à rembourser dans les vingt-quatre heures le prix dudit cheval pour apprendre à ce fonctionnaire à mieux veiller à la réparation des routes. Quant au jeune Zulimbo, sa majesté se fut dit qu’un gaillard si vigoureux n’était pas fait pour courir les bois, et elle l’eût envoyé creuser des trous de canne à sucre sur quelque habitation royale. Apprenant enfin que Zulimbo allait épouser Céliflore, et que la famille Bayacou n’attendait que lui pour signer le contrat, Henri Ier se fût fait, selon son habitude, un vrai plaisir de rompre ce mariage et de substituera Céliflore une femme de son choix. Dans l’opéra, c’est toujours l’opposé : Christophe plaisante avec une gaieté charmante sur son accident ; il nomme son sauveur chevalier, et s’il feint de lui imposer un nouveau parti, c’est qu’il faut, dit sa majesté à part soi, « il faut toujours jouer aux amoureux quelques tours d’espièglerie pour qu’ils s’en aiment davantage :

Plus d’une vive impatience
Vous avez ressenti l’ardeur,
Mieux d’une aimable jouissance
Vous savez goûter la douceur. »

Nous sommes au second acte, chez la famille Bayacou, que l’absence de Zulimbo met en grand émoi. Dans l’emportement bavard auquel se livre à ce propos Mme Bayacou, et à travers un placage de mots et d’idées aussi invraisemblables pour le temps que la poule-au-pot, se détachent quelques lointaines échappées de naturel.

« MADAME BAYACOU. — Comment ! petite fille, il est bientôt minuit, et vous n’êtes pas encore lasse de fatiguer l’air de votre plainte importune, et pour qui, s’il vous plaît ? Pour un freluquet, pour un damoiseau qui, peut-être, tandis que vous vous désolez, se rit de vos maux, et trahit aux pieds d’une autre la foi qu’il vous avait tant de fois jurée. Mort de ma vie ! je voudrais bien qu’il fût dit que Céliflore, le fruit de mes entrailles, une fille que j’ai pris soin d’élever, eût répandu seulement une larme pour un petit traître qui se moque de nos bontés, pour un petit inconstant qui, pendant qu’un bon souper, un bon contrat, un gentil poupon l’attendent sous un toit respectable, s’amuse sans doute à jouer de la guitare pour Doris, de la flûte pour Sylvanie,

  1. Historique.