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laquelle s’échafaude la construction où l’artiste essaie de donner une figure visible aux sensations qu’il a subies, modifiées par tout ce qu’il a en lui de sentiment et de pensée. L’imitation ici joue simplement le rôle du squelette : elle prête un point d’appui. Ce qui était disjoint, incohérent et confus revêt par son aide une forme et devient un tout : elle est comme un pont jeté entre l’artiste et ses semblables ; par elle, ceux-ci entrent dans son monde à lui. Les œuvres de Hogarth (force nous est d’employer pour les définir les formules consacrées, bien qu’elles aient presque perdu toute signification par excès de banalité) se distinguent par un dessin plein de vérité et de caractère, par une composition richement accidentée et bien pondérée, par un effet accentué et fort et par un coloris heureusement imitatif. Les autres mérites de Hogarth sont indépendans de sa valeur comme peintre. Sa pénétrante observation des caractères et sa vive perception du ridicule, sa verve satirique et ses ressources dramatiques auraient pu trouver dans la parole ou la plume un moyen d’expression plus direct et tout aussi complet ; mais la nature, parfois prodigue jusqu’au gaspillage, avait voulu cette fois amonceler ses dons. À ces capacités en quelque sorte littéraires, elle surajouta à pleines mains, chez lui, les facultés propres de l’art, et, au lieu d’écrire, il peignit ce qu’il trouvait et sentait dans son être intérieur.

Tandis que Hogarth était encore en pleine possession de lui-même et à la tête d’une ample aisance, fruit de son génie et de ses fatigues, Wilson, Reynolds et Gainsborough se produisirent à peu près en même temps au jour. Le premier de ces artistes avait d’abord traité le portrait, et avec un certain succès de vogue. Plus tard, il se laissa attirer vers le paysage. Il a un style large, une masse brillante et riche de couleur, quoique parfois sa largeur tourne au creux, et que le caractère se perde chez lui sous la dextérité de la brosse. Joseph Vernet le tenait en grande estime. Il avait voulu échanger une de ses propres toiles contre un tableau de l’artiste étranger, dont la beauté l’avait frappé, et on raconte que, l’ayant exposé chez lui, il disait aux voyageurs anglais qui venaient lui demander de ses œuvres : « Ne me parlez pas de mes paysages quand vous avez chez vous un paysagiste comme Wilson. » Malgré leurs mérites bien réels pourtant, les ouvrages de Wilson, si l’on excepte ses portraits, ne plurent jamais au public, et sans un héritage qui lui vint tout à point, il serait mort de faim.

De Gainsborough, on a des paysages et des portraits, et il marqua également dans les deux genres. Il ne s’essaya jamais à l’histoire ou aux compositions compliquées ; il ne mettait guère en scène qu’une figure, deux au plus, souvent de grandeur naturelle, et presque toujours dans des données pastorales. Sa manière est légère et sent le croquis. On chercherait en vain dans ses œuvres la justesse du dessin ou