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état ; notre division fut on ne peut mieux reçue, et les banquets, les toasts, les discours signalèrent cette démarche bienveillante de la France.

Peu de jours après la visite de la Pénélope, le président Roberts, à la tête d’un détachement de milice libérienne, s’embarqua sur le bâtiment français à vapeur l’Espadon, qui, accompagné de la corvette américaine Yorktown et du brick anglais Kingfisher, se dirigea vers New-Sesters, afin d’y détruire un des principaux établissemens négriers de la côte. L’expédition réussit, grâce surtout à l’Espadon, qui, vu son faible tirant d’eau, put s’approcher de la côte et protéger de son artillerie le débarquement et les opérations de la colonne libérienne. Trois mille cinq cents esclaves furent rendus à la liberté, les barracons des traitans furent incendiés, l’établissement détruit, et l’un des principaux foyers de ce honteux trafic fut supprimé. Une expédition du même genre eut lieu à Trade-Town et réussit également. Le parlement de Monrovia exprima dans une adresse ses remercîmens et sa reconnaissance pour la France et pour les officiers de notre marine.

Rien de saillant ne s’est produit dans le nouvel état de Libéria depuis la fin de février 1849. Les deux dernières années paraissent s’être écoulées paisiblement; les institutions se consolident et fonctionnent avec régularité; la population américaine a peine à s’augmenter, et on ne l’évaluait pas à plus de dix mille âmes en 1851. Des souscriptions sont ouvertes dans tous les états de l’Union, et plusieurs législatures ont même voté des fonds pour favoriser l’émigration à la côte d’Afrique. Les prédications, les raisonnemens les plus forts sont employés; cependant rien n’ébranle la masse des gens de couleur des États-Unis, rien ne les tire de leur apathie, rien ne leur donne le sentiment de la dignité du citoyen.

La colonisation de la côte ouest de l’Afrique aura eu toutefois deux excellens résultats, que l’on ne peut assez proclamer dans l’intérêt de l’humanité : elle aura contribué plus que toutes les escadres et les croisières à supprimer la traite, et elle aura porté le flambeau de la civilisation parmi les peuples barbares de la Guinée. Chaque jour, de nouvelles tribus se rangent sous la bannière de Libéria et d’une colonie voisine dont nous allons parler, Maryland; le rapport fait au congrès par le révérend Gurley, envoyé spécial du gouvernement des États-Unis (Washington, 14 septembre 1850), constate qu’une population indigène de trois cent mille âmes vit sur le sol des deux colonies, se conforme à leurs lois et s’efforce de se plier à leurs coutumes. Plus de cinquante mille individus ont appris l’anglais; les missionnaires sillonnent le pays dans tous les sens, et rallient chaque jour de nouveaux adhérens à la sainte cause du christianisme. En même temps l’éducation publique se répand, et de nombreuses écoles pourvoient à ses nécessités; le besoin d’apprendre gagne de proche en proche, et il n’est pas rare de voir arriver de l’intérieur des enfans qui ont fait de 6 à 800 kilomètres pour venir demander à Monrovia ou à Caldwell les connaissances que leur refuse leur pays natal. Le commerce se développe aussi dans des proportions considérables. Dès 1849, quatre-vingt-deux bâtimens de commerce avaient déjà visité Monrovia, et y avaient échangé des marchandises contre des produits naturels de l’Afrique montant à environ 3 millions de francs. L’accroissement se soutient d’année en année; on en trouve la preuve dans une lettre officielle adressée par M. Lewis, secrétaire