Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/1081

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le rayon du soleil est pour toi trop brûlant ;
Humble fleur, cache-toi sous l’épaisse ramée
Jusqu’à ce que la nuit et sa brise embaumée
Ramènent dans le ciel le timide croissant.

Alors tu reprendras ta pourpre nuancée.
Tu reverras briller entre tous tes amans
La mouche voyageuse aux yeux de diamans.

Quels baisers, quels soupirs, heureuse fiancée,
Lorsqu’en ton lit d’amour tes charmes disputés
Rassembleront ce soir l’essaim des voluptés !

Je pourrais citer d’Ignace Nau des vers meilleurs absolument parlant, et surtout plus colorés ; mais il n’a pas, comme Coriolan Ardouin, le privilège de l’inédit[1]. Ignace Nau et Coriolan Ardouin ont eu des imitateurs plus ou moins heureux, entre autres M. Émile Nau, que ses articles de critique et d’intéressantes recherches d’antiquités locales classent beaucoup plus honorablement que ses vers, M. Saint-Rémy, que j’aime moins à trouver dans la poésie que dans l’histoire, sa véritable vocation, et M. Ogé Longuefosse, dont le vers déclamatoire et incorrect s’éclaire cependant çà et là de certaines lueurs grandissantes. C’est, je crois, M. Ogé Longuefosse qui a le premier rompu ce silence que, par un tacite accord, mulâtres et noirs faisaient depuis vingt ans autour du nom de Dessalines :

Pourquoi sur ton astre voilé
Un sombre reflet de vengeance ?…

Le poète donne le parce que de son pourquoi, et, par une naïveté caractéristique, ce qu’il reproche au premier empereur des nègres, ce n’est pas tant d’avoir proscrit, spolié et égorgé, c’est d’avoir osé détruire la forme républicaine, ce qui, après le reste, n’était cependant, on l’avouera, qu’un fort mince détail :

Qui releva ton front rampant dans la poussière ?
Qui dit : Sois, et tu fus ?… C’était la liberté !…
Tu voulus étouffer sa céleste lumière.
Et la foudre t’a dévoré.

Espoir de ton pays, riche de son amour.
Maître de l’avenir dont l’hommage pudique
Aurait tressé pour toi la couronne civique.
Tu sacrifias tout à l’orgueil d’un seul jour.

Mais, en place des lois, s’il voit l’omnipotence,
Le peuple sur l’airain sait graver sa douleur.

  1. La plupart de ses poésies ont été publiées soit dans les journaux de Port-au-Prince, soit à Paris, dans la Revue des Colonies.