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qui embrassent la période comprise entre l’arrivée de Leclerc et l’évacuation de l’île, a sanctifiée, dit l’auteur, par le sacrifice de tout ce qui y portait le nom français, » c’est-à-dire par le massacre des soldats malades laissés dans les hôpitaux sur la foi de la capitulation et des malheureux colons, hommes, femmes et enfans, qui étaient rentrés dans leurs propriétés sur la foi des pressantes invitations de Dessalines. L’historien était en tout point digne de l’histoire. C’est lui qui, assistant à la lecture du projet de manifeste que Dessalines, après la retraite des Français, avait chargé l’adjudant-général Charairon de rédiger, et qui était conçu, dit-on, en termes fort dignes, s’écria au milieu des hoquets de l’ivresse : « Tout ce qui a été fait n’est pas en harmonie avec nos dispositions actuelles; pour dresser l’acte de l’indépendance, il nous faut la peau d’un blanc pour parchemin, son crâne pour écritoire, son sang pour encre, et une baïonnette pour plume ! » — « Dessalines, dit M. Saint-Rémy, Dessalines, frappé de ces odieuses paroles, qui répondaient parfaitement aux sentimens de vengeance sauvage qui lui gonflaient le cœur, chargea Boisrond-Tonnerre de la besogne de Charairon, en lui disant : C’est ça, mouqué, c’est ça même mon vlè! C’est sang blanc mon besoin[1]. » Le lendemain matin, au moment de la cérémonie, il fallait enfoncer la porte de Boisrond-Tonnerre, cette fois ivre mort, et l’on trouvait sur sa table, à côté d’une chandelle encore allumée, cette proclamation qui fut le signal de six semaines de massacres, proclamation qui faisait dire entre autres choses à Dessalines : « Ces généraux qui ont guidé vos efforts contre la tyrannie n’ont point encore assez fait... Le nom français lugubre encore nos contrées! » — C’est de la même inspiration et probablement du même baril de tafia que sont sortis les Mémoires. « Avant de retracer le tableau des scènes d’horreur exécutées à Saint-Domingue par cet amas d’immondices connus sous les dénominations de capitaine-général, de préfets, de sous-préfets, d’ordonnateurs, de vice-amiraux français, je dois prévenir, etc.. » Voilà l’arma virumque cano de cette Enéide de l’assassinat, qui, la donnée et le personnage admis, se recommande d’ailleurs, littérairement parlant, pour la rapidité et la verve brutale du récit. Le néologisme y a presque toujours pour prétexte, je n’ose dire pour excuse, un calcul de concision.

La haine des blancs, le parti pris cyniquement niais d’ensevelir sous les fleurs du sentiment et de l’idylle les abominations commises par les noirs, les violentes accusations qu’échangeaient les deux gouvernemens de Port-au-Prince et du Cap, la théorie de l’égalité des blancs

  1. « C’est cela, monsieur, c’est cela même que je veux! C’est du sang de blanc qu’il me faut! »