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10 mai 1850. En vertu de ce dernier acte, on a institué à Anvers une commission d’inspection des émigrans, sous les ordres du gouverneur de la province. Les passagers ont été trop souvent victimes de la cupidité des spéculateurs, et l’administration belge a compris que, pour les engager à prendre la voie d’Anvers, elle devait leur concéder de sérieuses garanties et les protéger contre tout abus de confiance. Peut-être même a-t-elle poussé trop loin, dans une intention fort louable, les précautions réglementaires. La loi anglaise, ainsi que les ordonnances en vigueur dans les ports anséatiques, se contentent de fixer la quantité des approvisionnemens à embarquer à bord des navires et la ration à distribuer aux passagers pendant le cours du voyage. La commission d’Anvers n’a point jugé que ces prescriptions fussent suffisantes : elle a rédigé la carte des repas qui doivent être servis aux émigrans pour chaque jour de la semaine. Dans son désir de favoriser les émigrans, elle a multiplié inutilement les entraves pour les armateurs, qui ne se soucient guère de se soumettre à tant de formalités, en sorte que les expéditions d’Anvers n’ont pas encore atteint leur développement naturel.

La Hollande, la Suède, la Norvège, la Finlande même, envoient à l’Amérique quelques colons : ce mouvement, qui se développera sans doute, est demeuré jusqu’à ce jour assez restreint, et il se confond avec celui de l’Allemagne. La France ne contribue que pour une faible part à l’émigration européenne. L’établissement des Basques sur les rives de la Plata est un fait exceptionnel et purement local[1]. Quant à ceux de nos compatriotes qui vont chercher fortune au Brésil ou dans les républiques de l’Amérique du Sud, ils appartiennent en général à la classe des négocians ou des pacotilleurs ; ils partent isolément, avec la ferme intention de revenir le plus tôt possible, dès qu’ils auront réalisé quelques capitaux. Il en est à peu près de même des aventuriers qui depuis trois ans se précipitent vers la Californie à la conquête des lingots d’or. Cependant, si la France n’est point encore entrée hardiment dans le courant de la grande émigration transatlantique, elle se trouve merveilleusement située pour prêter ses routes et ses ports aux populations qui, du centre et de l’est de l’Europe, s’ébranlent vers l’Océan. L’achèvement du chemin de fer de Strasbourg a augmenté les facilités que la France offre naturellement à ce transit, et nous ne devons pas négliger les bénéfices que laisserait sur notre territoire, traversé dans toute sa largeur, le passage des émigrans. Le Havre pourrait ainsi attirer une partie des passagers qui, jusqu’à ce jour, ont préféré s’embarquer dans les ports des villes anséatiques, à Rotterdam ou à Anvers.

À certaines époques, les départemens de l’est ont été infestés d’étrangers qui avaient franchi nos frontières avec l’intention de gagner le Havre et que la misère arrêtait au milieu du voyage. Parfois aussi l’on a vu camper sur les quais du Havre des bandes de paysans suisses et badois exténués de fatigue et plongés dans le plus profond dénûment. Il fallait avoir recours aux budgets municipaux ou à des souscriptions particulières pour débarrasser les villes de ces tristes hôtes. L’administration française, dans l’intérêt des communes, a dû prendre de rigoureuses mesures de police : elle a exigé des émigrans qui

  1. On a évalué à 30,000 le nombre des Français établis dans la Plata.