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suffisante pour faire la guerre aux journaux. En 1812, les deux frères Hunt avaient été condamnés à un an de prison et à une amende qui, avec les frais, s’élevait à 50,000 francs, pour avoir imprimé dans l’Examiner que le Morning Post avait un peu outrepassé la vérité en appelant le prince de Galles, alors âgé de près de cinquante ans, un Adonis. En 1820, M. Francis Burdett fut condamné à trois mois de prison et à une amende de 50,000 francs, qui, avec les frais, montait à près de 80,000. Un document parlementaire constate que, de 1808 à 1821, le gouvernement anglais intenta cent un procès de presse et fit condamner quatre-vingt-quatorze journalistes, dont douze à la déportation pendant sept ans et les autres à des emprisonnemens plus ou moins longs. Ce n’est pas en 1821 que se termine ce martyrologe de la presse anglaise; M. Knight Hunt l’a poursuivi jusqu’en l’année 1833, qui vit encore prononcer plusieurs emprisonnemens. Il semble que, depuis cette époque, il n’y ait plus eu de poursuites ordonnées par le gouvernement. L’honneur en revient aux hommes qui ont été depuis quinze ans à la tête des affaires, mais non pas à la législation, qui n’a pas changé. Lord Palmerston disait, l’an passé, à Tiverton, qu’en Angleterre tout homme pouvait exprimer librement ses opinions, quelles qu’elles fussent; le ministre aurait dû ajouter pour être sincère : «Tant qu’il convient au gouvernement de ne pas le poursuivre. » A l’école d’une longue persécution et sous le joug d’une législation rigoureuse, la presse anglaise a appris la modération et la réserve; elle apporte dans sa polémique sur les affaires intérieures une grande mesure et beaucoup de dignité; s’abstenant de toute attaque violente contre les personnes et les institutions, elle donne à vrai dire peu de prise contre elle. L’abus inoui qui a été fait jusqu’en 1830 des poursuites judiciaires contre les journaux a mis du côté de la presse l’opinion publique, qui s’alarmerait et s’irriterait d’un retour à la violence des Liverpool et des Castlereagh. La politique a donc commandé au gouvernement de fermer les yeux sur quelques écarts accidentels, en même temps que la tolérance lui était rendue facile par la modération habituelle des journaux. Si donc il n’y a pas eu depuis quelques années de procès de presse en Angleterre, cela tient à l’état de l’opinion et aux mœurs publiques du pays, non à une législation plus libérale qu’ailleurs. Ce n’est pas, comme lord Palmerston semblait le faire entendre, que l’Angleterre concède aux opinions plus de liberté que les autres états : c’est qu’on y abuse moins de la liberté limitée, mais suffisante, qu’on y accorde. La limite imposée par les mœurs et les habitudes empêche seule de rencontrer et de voir la limite imposée par la loi.

La modération et la dignité dont la presse anglaise fait preuve en général proviennent moins encore de l’appréhension d’une législation qui sommeille que d’une juste fierté et du besoin instinctif de se