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religion suffirait seule à faire naître et à maintenir des journaux en Irlande à côté des grands journaux anglais; mais l’Irlande a son vice-roi, sa capitale, sa petite cour, son personnel administratif, sa gazette officielle, toute une organisation distincte de la hiérarchie administrative de l’Angleterre, et, dans l’intervalle des sessions, les nouvelles de Dublin sont pour le gros de la population plus intéressantes que celles de Londres. L’Irlande affecte de regarder ses intérêts comme distincts de ceux de l’Angleterre et souvent comme opposés; elle a une législation différente sur beaucoup de points, et, si les députés qu’elle envoie au parlement se divisent parfois en whigs et en tories, dans la plupart des questions ils agissent de concert, et prennent le rôle de défenseurs de la nationalité irlandaise contre la tyrannie saxonne. Ce sont là autant de sujets qui peuvent alimenter la polémique des journaux irlandais et leur créer une clientelle politique. Ajoutez-y deux circonstances favorables : un plus grand éloignement de Londres et l’interposition du canal de Saint-George; vous comprendrez pourquoi les journaux irlandais ont plus d’importance et de vitalité que les journaux provinciaux anglais, et pourquoi les journaux métropolitains ne pourront jamais aspirer à les supplanter.

Tel n’est pas non plus le but des journaux de Londres; ils ont assez à faire pour retenir le public qu’ils se sont créé et dont les exigences croissantes les tiennent toujours en haleine. Si le fondateur de la Société des amis de la liberté de la presse, si Sheridan, revenu au monde, demandait quels sont aujourd’hui les journaux les plus répandus de l’Angleterre, on lui citerait des noms fort connus de lui en 1790, le Times, le Chronicle, le Herald, le Post; mais, en gardant le même nom, quelle transformation tous ces journaux ont subie depuis soixante ans! Autrefois ils s’adressaient exclusivement à la classe politique, à la noblesse, à la gentry, à la grande propriété et aux oisifs des villes. Cependant, grâce à l’influence bienfaisante du système protecteur, le commerce et l’industrie commençaient dès-lors à faire de grands progrès. La lutte contre la révolution française, en absorbant l’activité de l’Europe, laissa le champ libre à la bourgeoisie anglaise, et les premières aimées de ce siècle ont vu grandir avec une rapidité merveilleuse chez nos voisins une classe moyenne riche, éclairée, amie du luxe et des jouissances, faisant instruire avec soin ses enfans, les envoyant au loin et à grands frais compléter leur éducation, et désireuse par-dessus tout de l’influence politique qu’elle devait conquérir en 1831 par le bill de réforme. C’est à cette classe que le journal s’adressa quand il voulut élargir le cercle un peu étroit de ses lecteurs, et il suivit pas à pas chacun de ses progrès, qu’accompagnait une nouvelle exigence. C’est pour elle surtout qu’il écrit aujourd’hui, parce que sa faveur est un infaillible moyen d’influence et de fortune. Toutefois, avant de servir les idées