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ait seul à répondre de ce qu’il peut y avoir de funeste dans ses procédés. En dépit de Bacon et des programmes officiels de nos écoles, la plupart de nos écrivains continuent à pratiquer une manière de raisonner qui n’a rien de commun avec l’observation. Ceux même qui ont élevé la voix au nom des conditions vitales de la société n’ont que trop concouru, par leur exemple, à propager les habitudes d’esprit qui mènent droit aux révolutions. Il faut bien le dire, nous en sommes encore à l’antique dogmatisme, à la vieille scolastique radicale, qui de nos jours a été de nouveau rédigée en système par M. de Lamennais, qui au fond est tout simplement la façon dont le vulgaire raisonne faute de mieux pouvoir, et qui, depuis des siècles, reste emprisonnée dans le même dilemme. Ou une opinion est vraie, ou elle est fausse, — voilà cet immortel argument. Telle doctrine philosophique est-elle la vérité? alors elle est ce qui convient à toutes les époques. N’est-elle pas la vérité? alors elle est l’erreur, ce qui ne convient à aucune époque. Ainsi des formes de gouvernement. Ou telle constitution sociale n’est pas le gouvernement légitime, et alors c’est qu’elle est l’illégitime, ce qui doit être renversé quand même, comme mauvais et damnable en tout temps et en tout lieu; ou elle n’est pas illégitime, et alors c’est qu’elle est la combinaison qui partout et toujours peut produire, n’importe avec quoi, tous les résultats désirables, ou qui est sainte sui juris en dépit de tous les funestes résultats qu’elle peut produire; bref c’est le gouvernement qui doit être voulu et imposé quand même par ses partisans, dût le monde en périr. Oui ou non, rien au milieu, rien à côté! Ainsi raisonnent la révolution et la majorité de ses adversaires. Les uns attaquent la société en soutenant qu’un certain type de démocratie est le seul système social qui ait pour lui le droit. Les autres se font les champions de la propriété et de nos autres institutions en revendiquant pour elles ce même droit intrinsèque d’éternelle légitimité. Quant à M. Proudhon, il combat les uns et les autres avec les mêmes armes. Il nie qu’aucun genre de gouvernement ait en lui-même ce don de valeur absolue, et, parce qu’il est impossible de trouver une forme d’autorité qui soit bonne à tout et à toujours, il conclut que toutes les formes possibles d’autorité ne sont bonnes à rien. « Gouvernement ou non-gouvernement ! a-t-il écrit; réfutez ce dilemme, réactionnaires, et vous aurez frappé au cœur la révolution. »

Ace dilemme la seule réponse à faire, c’est qu’il n’aborde pas même la question qu’il s’agit d’examiner. Chose remarquable, M. Proudhon qui a écrit nombre de volumes sur les systèmes philosophiques et les établissemens religieux, sur le capital et l’autorité, ne s’est, pour ainsi dire, pas demandé quel rôle les institutions de ce genre jouaient en effet dans nos sociétés. Il a argumenté, comme nous le disions, il a raisonné contre ceux qui croyaient ou pouvaient croire que ces choses avaient leur raison d’être dans leur propre nature; mais rien