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Piccini et des Guglielmi qu’un seul musicien, qu’on dirait appartenir à une race étrangère par les défauts aussi bien que par les qualités de son talent.

Il y a bien une vingtaine d’années que M. Verdi remplit l’Italie du bruit de ses ouvrages. Né dans les environs de Milan, il est le premier compositeur dramatique de quelque mérite qu’ait produit la Lombardie. Aussi est-ce à Milan que M. Verdi a obtenu ses premiers succès par l’opéra de Nabucco, qui est resté sa meilleure inspiration. Depuis lors, ses ouvrages ont été chantés sur les principaux théâtres de la péninsule italique, et ont excité partout le plus vif enthousiasme. Ils ont été accueillis moins favorablement hors du pays qui les a vus naître, et, à Paris, Nabucco, I due Foscari, Ernani, I Lombardi, qui passent pour être les meilleurs opéras de M. Verdi, ont été jugés avec sévérité. Les partisans du maestro Italien assuraient cependant qu’ayant compris la nécessité de modifier sa manière, M. Verdi venait d’écrire un nouvel opéra où l’on ne trouverait aucun des défauts que lui a reprochés la critique. Cet ouvrage, promis aux espérances des dilettanti et des hommes de goût, est Luisa Miller, opéra en trois actes, qui a été représenté pour la première fois au théâtre de Saint-Charles à Naples et que le Théâtre-Italien de Paris vient aussi de nous faire connaître.

Le sujet de Louise Miller est tiré d’un drame de Schiller, Amour et Intrigue, qui a été bien souvent traduit en français et joué à Paris sous le titre de la Fille du Musicien. Dans la pièce de Schiller (Cabale und Liebe), qui est une des productions de sa jeunesse, il s’agit d’un vieux et pauvre musicien, Miller, dont la fille, Louise, est aimée par le fils d’un grand personnage, Walter, qui est premier ministre d’un prince allemand. La scène se passe donc dans une petite cour d’Allemagne, sur la fin du XVIIIe siècle, et l’imagination du Schiller, tout éprise des idées nouvelles de sentimentalité bourgeoise propagées par Diderot et par Lessing, a fait surgir de ce cadre modeste des contrastes vraiment dramatiques. Les deux amans, Louise et Ferdinand, contrariés dans leurs affections par l’ambition de Walter et trompés par les intrigues d’un subalterne nommé Wurm, finissent par s’empoisonner. Il y a dans le drame un peu lugubre du poète allemand un personnage épisodique, lady Milfort, la favorite du prince, qui est un caractère assez intéressant et qui jette un peu de lumière sur le fond de ce triste tableau. Le poète Italien, M. Cammarano, a dépouillé la fable de Schiller de tous les détails de temps, de lieux et de mœurs locales qui en font l’intérêt, et a pris tout simplement la charpente dramatique, qu’il a transportée où l’on voudra, en Suisse par exemple, où se passe la scène, vers le commencement du XVIIe siècle. Miller n’est plus un pauvre musicien d’une petite ville allemande, mais un vieux soldat, dont la fille s’éprend d’une belle passion pour Rodolfo, le fils d’un grand seigneur. Le père de Rodolfo ne veut pas de ce mariage, parce qu’il a formé le projet de faire épouser à son fils une duchesse qui doit lui apporter en dot une principauté. Le dénoûment est le même que dans le drame de Schiller. Il résulte de cet appauvrissement d’incidens et d’épisodes caractéristiques, dont le poète italien a cru devoir se priver, un ennui qui vous saisit dès les premières scènes et ne vous quitte plus jusqu’à la fin de la pièce. C’est de la passion toute crue qui éclate comme un coup de pistolet, sans préparation et sans que l’esprit ait eu le temps de saisir la