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cause d’une péripétie aussi lugubre. Pas un caractère n’est dessiné; aucune physionomie originale : c’est une fille, un fils, un père et un traître qui se disputent, qui hurlent et qui s’empoisonnent. Cette manière grossière de préparer des situations à la musique est le dernier degré d’abaissement où puisse tomber le drame lyrique. Il vaudrait cent fois mieux revenir aux fables charmantes de Métastase, qui se passent aussi dans un monde imaginaire : on aurait au moins l’avantage d’entendre un prince, une princesse et un tirannio exprimer, dans une langue exquise, des sentimens nobles et délicats.

On ne pouvait tendre à M. Verdi un piège plus dangereux qu’en lui donnant à mettre en musique le misérable libretto que nous venons d’analyser; c’était lui offrir une occasion de tomber une fois de plus dans les défauts qu’on lui a reprochés depuis long-temps. M. Verdi est incontestablement un artiste de beaucoup de mérite. Il a de la fougue, de la verve, de l’élévation dans le style, et un certain nombre d’idées mélodiques qui ne manquent pas d’originalité. Musicien médiocre et doué d’un tempérament passionné, il s’est engoué du théâtre de la nouvelle école française, parce qu’il flattait à la fois son imagination et qu’il palliait son inexpérience de l’art d’écrire. Aussi M. Verdi est-il tombé dans toutes les exagérations du drame moderne, et sa muse a prêté une voix à ces passions fausses, à ces personnages ridicules aussi impossibles dans l’histoire que dans la fantaisie, dont le goût de la France a déjà fait justice, et qu’il a rejetés dans les bric-à-brac littéraires. Sauf quelques subtilités de langage qui ne se rencontrent pas dans la musique de M. Verdi, les opéras du maestro italien ressemblent d’une manière incroyable aux drames de M. Hugo. C’est la même exagération, les mêmes contrastes heurtés, la même ignorance de la véritable passion, le même style tendu, sec, prétentieux et dépourvu d’émotion sincère, de ces délicatesses, de cette dégradation d’ombre et de lumière qui caractérisent aussi bien le grand poète que le grand peintre et le grand compositeur M. Verdi exige de tels efforts de l’organe humain, qu’ils rendent impossible toute vocalisation. Aussi ne faut-il pas savoir chanter pour réussir dans ses ouvrages : il suffit d’avoir de la voix et de la pousser avec vigueur. M. Verdi ne sait pas développer une idée, c’est-à-dire qu’il ignore l’art de tirer d’un thème toutes les conséquences qu’il renferme. Donnez à un homme comme Meyerbeer par exemple un atome de mélodie, et il en fera un morceau de maître par les développemens qu’il y ajoutera. Tout l’art musical est dans ce procédé, comme tout raisonnement est dans la logique, qu’on le sache ou non. Or l’art de développer une idée mélodique s’appelle dans l’école tout simplement contre-point, mot pédantesque dont se moquent volontiers ces aimables ignorans qui parlent de musique tout aussi pertinemment que d’un bon dîner. M. Verdi, qui sait un peu plus de contre-point que ses admirateurs, mais qui n’en sait pas assez pourtant pour suffire aux besoins de certaines situations dramatiques, est obligé de brusquer les effets dont il a le sentiment et de frapper fort au lieu de frapper juste. De là ces phrases écourtées, ces strette violentes qui reviennent sans cesse et qui ne sont que l’explosion d’une idée que le musicien n’a pas su préparer. Toutes les partitions de M. Verdi sont remplies des mêmes effets, grandioses quelquefois, mais dont la monotonie finit par fatiguer, parce que l’instrumentation, pauvre et bruyante tout à la