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Nous passons sur le premier chœur du second acte, ainsi que sur l’air de Luisa : Tu punisci mi, que Mlle Cruvelli chante d’ailleurs à contre-sens d’un bout à l’autre. Le duo pour deux basses entre Walter et son satellite Wurm rentre dans les formes connues de la musique vulgaire de M. Verdi, tandis que le quatuor sans accompagnement : Come celar le smanie, pour soprano, contralto et deux basses, est un bijou d’originalité et produit un effet exquis. On dirait un madrigal plein d’idéalité et d’élégance plutôt qu’une page de musique dramatique. Le passage : Ai me, l’infranto core, attaqué par toutes les voix à l’unisson, qui forme une petite phrase incidente, aboutit à un mouvement rapide où le soprano se dégage de l’unisson, et monte par un rhythme syncopé jusqu’au si supérieur, tandis que les autres voix l’accompagnent par un bisbiglio mystérieux; tout cela, disons-nous, est exquis et nouveau. Ce quatuor a été redemandé par tout le public enchanté. L’air de ténor : Quando le sere al placido, que chante Rodolfo désespéré, est très beau, et M. Bettini l’a rendu avec bonheur; le duo pour soprano et basse entre Miller et Luisa mérite aussi d’être signalé, surtout l’andante :

La tomba è un letto
Sparso di fiori.

Nous aimons beaucoup moins la prière et le trio qui remplissent à peu près tout le troisième acte. La situation violente des deux amans, Rodolfo et Luisa, qui rappelle un peu la dernière et admirable scène de l’Otello de Rossini, ne renferme rien de remarquable et qui puisse soulager la patience du public pendant cette longue agonie.

La partition que nous venons d’analyser n’est pas une œuvre médiocre. Le duo charmant entre Rodolfo et Frederica, le quintette et le finale du premier acte; le quatuor sans accompagnement du second acte, d’une facture si originale qu’on oublie facilement qu’il ne répond pas tout-à-fait à la situation des personnages, l’air de ténor qui vient après et dont l’allégro est plein d’énergie, le duo pour soprano et basse entre Luisa et son père Miller, sont des morceaux diversement remarquables, de nature à produire beaucoup d’effet, s’ils étaient bien rendus. On trouve dans Luisa Miller ce qu’on a déjà remarqué dans tous les opéras de M. Verdi : de la couleur, de la passion véhémente, de l’élévation dans le style, le sentiment des effets d’ensemble, et, ce qui a lieu d’étonner, une certaine grâce élégiaque qui semble échapper, comme par mégarde, de l’imagination un peu sombre du compositeur. A côté de ces qualités, que nous n’avons jamais contestées à M. Verdi, on regrette d’y trouver aussi le même cercle assez restreint d’idées mélodiques, la raideur dans les formes, la persistance de certains rhythmes tourmentés, la vulgarité de l’harmonie, et ces accompagnemens éternels en accords plaqués que M. Verdi affectionne tant. Son instrumentation, qui vise à l’effet, manque de corps, les couleurs y sont plutôt entassées que distribuées avec goût. Dans les scènes qui préparent l’éclosion du sentiment, dans tous ces détails si nécessaires à l’éclaircissement de la situation, où les maîtres font intervenir l’orchestre pour occuper l’oreille d’une manière intéressante, M. Verdi reste impuissant. Ses contre-basses murmurent inutilement et ne dégagent qu’une sonorité sourde et pâteuse qui trahit la pauvreté de l’imagination et l’inexpérience de l’artiste. Ce qu’on peut signaler dans la partition de Luisa Miller, qui