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les avaient pas adorés ? Ces poètes qu’ils nient à cette heure, ils ont été les maîtres de leur enfance ! « Ah ! disent-ils aux païens éperdus de se voir battus en brèche par ces machines de guerre prises dans leurs arsenaux, comment espérez-vous que l’on vous entende ? vous ne vous entendez pas vous-mêmes ! Anaxagore est réfuté par Mélissus et Parménide ; Parménide est écrasé par Anaximène ; Empédocle, du fond de l’Etna, impose silence à Protagoras ; Thaïes est battu par Archelaüs ; je vous connais, philosophes ; on vous connaît, Leucippe ; on sait pourquoi Démocrite est en gaieté et pourquoi pleure Héraclite ; on a vu Épicure dans son vide et Cléanthe dans son puits ; on sait ce que veut Carnéade et ce que vaut Clitomaque, et quelle foi nous devons ajouter à la vieille bande des pythagoriciens taciturnes portant sur leur drapeau troué : Le maître l’a dit ! Philosophes raisonneurs, ne suis-je pas bien instruit de vos contradictions ? J’ai pitié de vous, j’ai pitié de vos dieux ! Votre pauvre Junon, comment va-t-elle ? Elle ne fait plus d’enfans, elle est trop vieille ! On n’entend plus parler d’Apollon ; il aura repris sa place de bouvier chez le roi Admète ! Insensés, vous avez beau vanter votre science, vous êtes des aveugles qui disputez avec des sourds. Ignorans ouvriers, vous avez dans les mains des outils dont vous ne savez pas vous servir ! » Et c’était vrai, ou plutôt ces ouvriers désormais sans ouvrage, ils avaient été désarmés de leurs outils et de leurs armes par ces mêmes inspirés du vrai Dieu qui étaient sortis de leur sein ! « Voilà, ô Grecs, ce que j’avais à vous dire, moi Tatien, qui ai été élevé dans vos écoles, moi que vous avez formé, moi qui ai choisi les connaissances et les dogmes que je professe aujourd’hui ! » L’ironie a rarement un accent plus éloquent et plus cruel.

Mais, pour parler avec ce ton d’autorité, il fallait nécessairement avoir fréquenté les écoles et l’antiquité, il fallait savoir à fond ses philosophes et ses dieux. Saint Clément d’Alexandrie, à l’exemple de ses frères d’Orient, s’attaque, lui aussi, à la théologie païenne ; il répond à toutes ses objections, il ouvre à la lumière tous ses temples, il provoque tous ses grands hommes : Orphée, Hésiode, Euripide, Antisthène, Cléanthe, Platon. Peu d’hommes, chrétiens ou profanes, ont été plus savans que saint Clément d’Alexandrie dans tous les mystères de l’antiquité, il sait le nom de tous les dieux, il sait le crime de toutes les déesses, il a compté tous ces sacrifices impies ; puis, quand il rencontre Platon, il s’arrête, il s’incline. « Où donc, ô Platon, avez-vous appris cette importante vérité, qu’il n’y a qu’un Dieu unique, incréé, éternel ? — Vous avez beau le faire, nous savons que c’est dans l’Egypte que vous avez appris la géométrie, l’astronomie en Chaldée ; — et vos idées sur la Divinité, vous les devez à ce peuple hébreu qui n’a pas été enseigné par les hommes. » Écoutez aussi la péroraison de ce célèbre discours, dans lequel toute l’antiquité est en jeu : « Que l’Athénien suive les lois de Solon, l’habitant d’Argos les lois de Phoronée, et le