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REVUE. — CHRONIQUE.

moment, confondant tout et rendant tout possible. Au lieu des idées d’équilibre constitutionnel de la veille, à la place du jeu savant des pouvoirs pondérés, de l’antagonisme des partis, des luttes de systèmes politiques, il n’y a plus eu que deux choses en présence pour la société : le danger de mourir à chaque instant de mort violente et le droit de vivre à tout prix, l’effroyable anarchie révolutionnaire et ce sentiment de conservation qui renaît de lui-même dans un pays profondément ébranlé, cet instinct ardent de l’autorité que la puissance des catastrophes réveille subitement comme une sauvegarde morale. Laquelle de ces deux tendances devait l’emporter ? C’est ce qui constitue le drame de l’année 1848 ; là est le secret des combats terribles de cette période si cruellement longue dans sa brièveté. Sous quelle forme d’ailleurs le sentiment de conservation pouvait-il vaincre, en supposant qu’il sortît vainqueur de la lutte ? Là encore était le problème. Quelques mois n’étaient point écoulés, que l’instinct conservateur, dans un suprême effort, était allé chercher sa personnification et son symbole dans un nom auquel se rattachait le souvenir du 18 brumaire. C’est la fortune du nom de Napoléon d’avoir, deux fois en un demi-siècle et à des titres différens, représenté les mêmes choses : l’ordre matériel retrouvé, la paix sociale garantie, la sécurité rendue aux intérêts. Nous connaissons bien des esprits qui ont discuté très compendieusement la question de savoir si le peuple français avait élu en 1848 un président selon la constitution ou un empereur. Ce sont des subtilités un peu raffinées quand il s’agit de la masse d’un pays. La réalité est que cette masse jetait comme une conjuration à l’anarchie le nom qu’elle pensait être le plus redoutable pour elle, et que l’élection du 10 décembre 1848 était l’acte le plus significatif, le plus formel d’adhésion à la reconstitution d’une autorité puissante et protectrice. La lutte n’était point finie pour cela : elle était dans les institutions mêmes ; mais l’instinct conservateur s’était concentré, personnifié et armé. Le nom impérial était surtout rentré dans notre histoire entouré de l’éclat des souvenirs et du prestige d’une manifestation populaire toute nouvelle. Il était dès ce moment avéré que les deux seules forces capables de dominer les événemens étaient la force révolutionnaire et la force de ce pouvoir nouveau créé dans un inexprimable besoin d’ordre et de stabilité. On a pu se méprendre et se faire illusion ; les diversions des partis ont pu obscurcir le problème qui s’agitait dans ces années d’incertitude que nous venons de traverser. En réalité, entre un dénoûment révolutionnaire et le dénoûment qui a eu lieu, où donc était la troisième issue possible, dans les conditions faites malheureusement au pays ? S’il en était autrement, comment s’expliquerait tout ce que nous avons vu ? Cette situation une fois donnée au contraire, tout se coordonne et s’explique, — et les tendances permanentes de la dernière présidence, et l’impuissance des partis, et le 2 décembre, et le voyage d’aujourd’hui, et l’empire de demain. Les faits se succèdent et se déroulent dans un enchaînement invincible. Le 24 février contient le 2 décembre, et, du 2 décembre à l’empire, il n’y a pas loin assurément. Au milieu de tout cela, il nous est assez difficile, on le comprend, de donner de bonnes et exactes informations sur ce que devient la république. Très probablement, le meilleur moyen pour elle de ne point mourir eût été de ne point naître, — si tant est que ce ne fût pas le seul.