— Parce que la poudre et le feu travaillent vite.
— Par le ciel ! auriez-vous déjà fait ce que vous vouliez ? s’écria la vieille femme, qui, en se redressant, parut grandir dans l’ombre ; parlez, Nan, et, sur votre tête, ne me trompez pas. L’écluse ?…
— Il n’y a plus d’écluse, interrompit Gui-d’hu, qui agitait sa hache.
— Et il n’y a plus de maison ! ajouta Laouik avec un éclat de rire féroce.
— Nous avons vu le courant emporter la dernière planche.
— Et le toit flamber comme une bourrée de traînes.
— Mort de ma vie ! est-ce vrai ? s’écria Katelle en frappant ses mains sur ses genoux… Plus de maison ni d’écluse !… Et l’homme de là-bas vous a laissé faire ?
À cette question, Laouik et Guy-d’hu se jetèrent un regard de côté et gardèrent le silence.
— Eh bien ! pourquoi ne répondez-vous pas ? — reprit l’aveugle en cherchant de la main autour d’elle. Et rencontrant la tête de la petite fille : — Soize, ajouta-t-elle, tes frères ne sont-ils plus là, qu’ils ne disent rien ? Parle, où est Konan ?
— Il est devant vous, qui recharge son fusil, répliqua l’enfant.
La vieille fit un mouvement :
— Tu l’as donc déchargé, Nan ? s’écria-t-elle ; réponds-moi, je le veux, où est l’éclusier ?
— Où vous irez bientôt ! répliqua brutalement Guivarch.
Mais l’aveugle ne prit point garde à la dureté de la réponse ; elle leva les bras avec un éclat de triomphe féroce : — Est-ce possible ! est-ce sûr ! s’écria-t-elle. Toi ! toi ! Nan, tu l’aurais mis à terre ? Et il est bien mort ! dis-moi ? mort pour l’éternité ? Alors je me dédis de mes paroles d’hier. Oui, oui, Konan, vous êtes bien un Guivarch.
Et ramenant à elle la tête de la petite fille : — As-tu entendu, Soizik ? ajouta-t-elle ; notre peine est finie ; la faim ne tiendra plus la chevillette de notre porte ; nous retrouverons tout ce que nous avions autrefois. À cette heure, nous voilà redevenus les seuls maîtres de la rivière et de la lande.
— À cette heure, s’écria Konan d’une voix rude, il faut que nous quittions pour jamais la lande et la rivière, s’il y en a ici qui tiennent à leur cou !
— Que veux-tu dire ? s’écria Katelle.
— Je veux dire, reprit Guivarch d’un air sombre, que le promis de Colah est arrivé à l’écluse avec ses gens.
— Quoi ! avec les bateliers ?…
— Et le bateau ! Ils y ont porté le mort… ils y sont tous réunis à cette heure pour notre perte… car ils nous ont reconnus, et il n’y a plus de sûreté ici pour nous.
— Quand on se revenge, il faut en payer le prix.