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dans le ciel des nuages qui commençaient ri se résoudre en une pluie lourde et pressée. L’incendie que les Guivarch avaient allumé sous la toiture de la maison de l’écluse, contrarié dès le premier instant par les tuiles dont elle était recouverte, n’avait pu gagner davantage. Le feu s’était concentré dans les charpentes, qui brûlaient avec lenteur, en laissant échapper de loin en loin quelques jets de flammes intermittentes que cette ondée inattendue ne tarda pas à étouffer. Au moment où le jeune batelier et Nicole débarquèrent, le toit embrasé semblait près de s’éteindre ; les chevrons noircissaient en sifflant, et aux lueurs rougeâtres succédaient les tourbillons d’une épaisse fumée. Alann remarqua, en arrivant près du seuil, que l’intérieur du logis avait peu souffert. Les flammèches tombées du toit avaient seulement atteint la plupart des meubles, qui finissaient de brûler. Il s’empressa d’entrer avec la jeune fille pour arracher au feu ce qui pouvait encore être sauvé.


IV

Pendant que ceci se passait à l’écluse, les Guivarch fuyaient par la route de la lande brûlée, sur laquelle on devait bientôt les poursuivre ; mais Konan, qui marchait en tête, avait sans doute prévu la possibilité de cette poursuite, car il se jeta brusquement à gauche à travers la bruyère, qui ne laissait aucune trace de leur passage, et gagna le versant opposé. Après beaucoup de détours à travers les inégalités sinueuses de la colline, il atteignit enfin un taillis d’ajoncs qui, au premier coup d’œil, semblait n’offrir aucune route praticable. Guivarch le côtoya jusqu’à un point connu, et là, écartant avec précaution les branches, il franchit une sorte de lisière très fourrée, et se trouva dans un sentier étroit qui serpentait au milieu de la brande. Il arriva ainsi à un massif de genêts caché au plus profond du taillis épineux, et qu’aucune recherche n’eût pu faire découvrir. Les branches avaient été entrelacées au sommet de manière à former un toit. Au centre était ménagée une étroite enceinte tapissée de fine bruyère et de mousse blanche.

Avant de s’engager plus loin, l’homme de la lande brûlée fit entendre le cri plaintif du râle de genêt, auquel on répondit par une brève exclamation. Guivarch s’avança aussitôt et se trouva en face d’une espèce de nid sauvage où il aperçut, à la faible clarté de la nuit, la vieille grand’mère assise avec la petite Soize à ses pieds. Au signal de Guivarch, toutes deux s’étaient redressées.

— Est-ce vous, Konan ? demanda l’aveugle.

— Ne reconnaissez-vous plus mon cri ? répliqua brusquement l’homme de la lande.

— Et comment êtes-vous si tôt de retour ?