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cinq grandes sections que l’on peut répartir en les désignant par leurs principaux chefs de la façon suivante. Il y avait le groupe de Pitt et des Grenville, le duc de Newcastle, la fraction du duc de Bedford, et la portion la plus considérable du parti qui suivait le duc de Devonshire et qui se rallia après lui autour du marquis de Rockingham.

Le premier Pitt, celui qui est arrivé à l’histoire sous le nom de lord Chatham, est trop connu pour qu’il soit nécessaire d’insister sur les événemens de sa vie et sur tous les traits de sa physionomie. Pitt n’était pas, à proprement parler, un chef de parti. Comme homme, il n’avait pas cette souplesse de caractère, cette vigilance attentive auprès de ses associés politiques, ce liant enfin avec lesquels d’autres esprits supérieurs parviennent à réunir et à faire marcher ensemble dans une même voie cet assemblage d’intérêts, d’idées, de vues et de caractères divers qui composent un parti. Comme orateur et membre de la chambre des communes, il n’avait pas non plus cette application universelle et quotidienne aux détails du gouvernement, indispensable aux hommes qui veulent diriger avec continuité les affaires dans une assemblée délibérante. Sa sœur disait de lui qu’il n’avait jamais bien su qu’une chose, le poème féerique de Spenser, the Fairie queen. Pitt n’avait pas plus de suite dans la conduite que dans la parole : c’était un génie hautain, solitaire et capricieux. Il ne frayait pas avec ses collègues de la chambre ou du ministère ; il les écrasait de sa domination. Il n’y eut que deux points fixes, ou plutôt deux ardens foyers dans son intelligence, dans son ame et dans sa vie : la révolution de 1688 avec la liberté fondée par elle, et la grandeur anglaise dans le monde. Ces deux mobiles étaient en lui deux passions ; c’était par là qu’il frappait l’imagination des masses. La nature de son talent était aussi la seule langue qui parle à l’enthousiasme populaire. Pitt avait toutes les parties extérieures et physiques de l’orateur. Les vibrations de sa magnifique voix dont la foule entendait les éclats à la porte même de la chambre des communes, sa haute taille, sa tête, ses yeux, l’accent de ses gestes, la puissance mobile de ses attitudes, rendaient avec une spontanéité saisissante les variations passionnées de son éloquence. Personne n’entendait mieux que lui la mise en scène oratoire ; il tirait des effets dramatiques de la maladie même contre laquelle sa vie n’était qu’un long combat ; il se faisait des draperies avec les flanelles dans lesquelles on le portait au parlement, et sa béquille de goutteux devenait dans ses mains une arme parlante. Un air de tête, une intonation suffisait à ce « terrible cornette de cavalerie, » comme l’appelait Walpole, pour pétrifier ses adversaires. C’était un acteur consommé ; il eut pu être Garrick, s’il n’eût été Pitt. La discussion qui éclaire, l’argumentation qui persuade n’allaient pas à sa parole : il lui fallait les déclamations impétueuses qui soulèvent ou qui heurtent avec violence les passions du