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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/262

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REVUE DES DEUX MONDES.

je suis pour la bataille ; mais je ne suis pas pour paraître à l’état d’opposition faible. Nous ferions une figure insignifiante au préjudice de nos amis et sans profit pour le bien public. » Mais, quand les accidens extérieurs ne l’amènent pas, les fautes des gouvernemens infatués suffisent pour évoquer l’imprévu avec son cortège d’embarras et de brusques péripéties.

Lord Bute n’était pas premier ministre depuis dix mois, qu’il avait soulevé contre lui l’animadversion universelle. Il était impopulaire parce qu’il était l’auteur de la paix, et que la paix, après l’exaltation que les succès de Pitt avaient communiquée aux esprits, paraissait humiliante ; impopulaire parce qu’il avait été obligé de parer au déficit des finances laissé par la guerre, et qu’il n’y avait réussi qu’en créant un impôt sur le cidre qui lui avait attiré l’exécration des principaux comtés agricoles ; impopulaire à cause de la brutalité et de la cruauté des destitutions accomplies par Fox, mais dont on lui attribuait justement la responsabilité ; impopulaire parce qu’il répandait les faveurs du pouvoir sur les tories et même sur les jacobites ; impopulaire parce qu’il était Écossais, et qu’à une rivalité séculaire de race s’ajoutait alors la haine politique inspirée aux Anglais par l’attachement invétéré que les Écossais avaient porté à la cause des Stuarts ; impopulaire enfin parce que l’opinion ne voyait en lui qu’un intrus politique conduit au premier poste de l’état, non par les longs travaux ou les succès d’une carrière publique, mais uniquement par le bon plaisir royal, en un mot parce qu’il n’était qu’un favori. Un ministre du bon plaisir, un favori ! c’est-à-dire un homme qui n’est rien par lui-même, qui, laissé à son propre mérite, ne serait pas sorti d’une stagnante obscurité, et qu’un simple caprice du maître place au-dessus de ses supérieurs de talent et de caractère et sur la tête d’une nation, c’est une vivante injure et la plus offensante qui puisse être faite à un peuple digne d’être libre et pénétré du sentiment de sa dignité. Le peuple anglais ne pardonne point et ne supporte point cette insulte. Depuis le duc de Buckingham, ce fatal mignon de Jacques Ier et de Charles Ier qui tomba sous le poignard de Felton, l’Angleterre n’avait plus connu le joug des favoris. Aussi, de toutes parts, une explosion de mépris et de colère éclata contre lord Bute. On brûlait son effigie dans les provinces, on le huait, on poursuivait son carrosse de coups de pierre dans les rues de Londres. Des pamphlétaires, excités eux-mêmes par des chefs de parti, attisaient le feu avec une ardeur chaque jour redoublée. Bientôt lord Bute n’osa plus sortir qu’avec une escorte ; puis, aussi prompt au découragement qu’il avait été facile à la témérité, au moment où ses rivaux politiques le croyaient le plus solidement établi, lorsqu’on pensait qu’un peu de fermeté suffirait pour compri-