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LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF SOUS GEORGE III.

les honneurs électifs. Il fut alderman de la Cité, sheriff du Middlesex, lord-maire de Londres. Des souscriptions furent ouvertes en sa faveur sous prétexte de payer les frais de ses procès et de l’indemniser de ses pertes. Il finit par avoir la lucrative sinécure de chambellan de la Cité, qu’il garda jusqu’à sa mort, en 1797. Pendant dix ans, la lutte de Wilkes et du gouvernement occupa et passionna le public, fut une occasion d’émeutes, remplit la presse, défraya les discussions parlementaires et rabaissa le crédit de la chambre des communes. L’aveuglement, la maladresse et l’obstination du roi et des « amis du roi » furent cause que le nom de Wilkes, uni par une sacrilège association au nom de la liberté, — Wilkes et la liberté ! — demeura pendant dix ans la devise de l’opinion libérale. On reproche souvent à cette pauvre liberté l’infamie des hommes dans lesquels le hasard personnifie quelquefois sa noble cause ; mais ce malheur lui est commun avec la religion et la morale, et la liberté, pas plus que la morale et la religion, n’est responsable des étranges défenseurs que les circonstances lui apportent. Tandis que Wilkes s’abritait derrière la liberté, il était précisément dénoncé et persécuté au nom de la morale par un de ses anciens compagnons de débauches, lord Sandwich, dont les mœurs étaient un scandale public, ce qui faisait dire ironiquement à lord Chesterfield : « C’est un grand bonheur que M. Wilkes, le défenseur intrépide de nos droits et de nos libertés, soit hors de danger et puisse vivre encore pour combattre et écrire à leur profit, et ce n’est pas un moindre bonheur que Dieu ait suscité le comte de Sandwich pour venger et propager la vraie religion et la morale ! Ces deux bénédictions feront justement époque dans les annales de notre pays ! » L’événement a montré à qui devait être imputée l’odieuse importance donnée à Wilkes : quand le gouvernement, lassé de la lutte, ne s’opposa plus à la rentrée de Wilkes dans la chambre des communes, la popularité de Wilkes s’évanouit, et Wilkes devint ministériel. À la fin de sa vie, il allait aux réceptions du roi, il y trouvait un accueil gracieux. Le roi, dans une de ces rencontres, lui ayant fait une question au sujet du serjeant Glynn, qui avait été son avocat et son associé dans ses démêlés avec le gouvernement, Wilkes répondit : « Je vous en prie, sire, n’appelez pas le serjeant Glynn mon ami. Il était wilkite, et je peux assurer votre majesté que je ne l’ai jamais été. » Cette répudiation effrontée de lui-même est le dernier mot par lequel l’impudent démagogue ait pris congé de l’histoire.

Grenville commença son ministère par l’affaire de Wilkes ; il le finit par l’affaire d’Amérique. L’idée de taxer l’Amérique n’était pas nouvelle ; elle avait été proposée à sir Robert Walpole au moment où ce ministre devenait impopulaire. Walpole répondit à l’avis par une saillie de bonne humeur : « J’ai contre moi la vieille Angleterre ; croyez-vous