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que j’irai maintenant me mettre la nouvelle Angleterre sur les bras ? » Un sous-secrétaire d’état qui servait sous Grenville avait l’habitude de dire après l’indépendance des États-Unis : « M. Grenville a perdu l’Amérique parce qu’il lisait les dépêches américaines ; s’il avait fait comme ses prédécesseurs, qui ne les ouvraient pas, ce malheur ne serait point arrivé. » Grenville fut conduit par trois idées à la résolution de taxer l’Amérique. Obligé de justifier à ses propres yeux sa rupture avec Pitt, son grand cheval de bataille était les profusions financières qu’il attribuait à la politique belliqueuse du grand ministre. Partant de là et de la nécessité de trouver des ressources, Grenville cherchait, comme on dit, à faire flèche de tout bois ; or, à la lecture des dépêches américaines, il lui était venu à l’esprit que, puisque la dernière guerre avait été engagée à cause des colonies américaines et avait été très avantageuse à ces colonies, il était logique et juste qu’une partie des charges laissées par la guerre fût supportée par l’Amérique. Ceci posé, Grenville, infatué des privilèges du parlement anglais, s’imagina qu’il n’y avait qu’à établir par un acte du parlement l’impôt qu’il avait résolu de lever en Amérique. Comme l’ouverture par laquelle les idées entraient dans l’esprit de Grenville était fort étroite, une fois entrées, elles n’en sortaient plus. Son plan arrêté, Grenville n’en voulut pas démordre. L’intérêt financier engagé dans la question était minime. Grenville ne comptait pas tirer plus de 400,000 livres sterling du droit de timbre auquel il assujettissait l’Amérique. Ce n’était pas non plus le chiffre de l’impôt qui effrayait les Américains ; ils protestaient contre la nature de la taxe et déniaient à la métropole le droit de les y soumettre. Les colonies sont unies aux métropoles par deux intérêts, un intérêt politique et un intérêt commercial. Les colonies d’un état libre doivent donc recevoir la loi de la métropole pour tout ce qui concerne la politique générale et l’intérêt commercial ; les lois civiles et politiques et les lois de douanes, c’est la métropole qui les promulgue ; les colonies n’ont qu’à les exécuter. Voilà ce qu’admettaient les Américains ; mais, s’appuyant sur ce grand principe de la liberté anglaise qu’un citoyen ne peut être soumis à une taxe que par une assemblée où il est représenté, ils niaient que le parlement métropolitain eût qualité pour voter des lois financières qui leur fussent applicables. Ils ne refusaient pas de prêter secours aux finances obérées de la métropole, mais ils voulaient que ce fût par le vote libre de leurs assemblées et non par une loi coercitive venue d’Angleterre. Franklin, qui fut, au début du conflit, délégué par la Pensylvanie auprès du gouvernement anglais, écrivait long-temps après : « Si M. Grenville, au lieu de sa loi du timbre, eût fait appel aux assemblées des états, je suis sûr qu’il eût obtenu plus d’argent des colonies sous forme de dons volontaires qu’il n’en attendait lui-même de ses timbres ; mais il préféra