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LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF SOUS GEORGE III.

lui-même, il se réfugiait tristement dans la dignité de sa conscience. « Contre un roi égaré, contre un public égaré, la raison et l’esprit de l’individu reprennent leurs droits et doivent refuser une soumission passive et abjecte. » Quand une opposition en est réduite ainsi à se renfermer dans les protestations individuelles de la conscience, elle est arrivée au dernier degré de la faiblesse, elle touche au néant.

Si pourtant les whigs avaient pu lire dans l’ame du chef apparent du gouvernement, lord North, ils auraient eu des motifs de reprendre courage. George III était forcé à chaque instant de ranimer, par ses excitations, les esprits de son faible ministre. Lord North sentait son insuffisance et demandait à être délivré d’une trop lourde responsabilité. George III, en 1774, lorsque les hostilités commencèrent entre les colonies et la métropole, écrivait avec une incompréhensible légèreté de cœur à son ministre : « Le dé est jeté, il faut ou que les colonies triomphent ou qu’elles se soumettent. Je n’ai pas de répugnance à leur laisser voir que nous ne voulons pas leur imposer de nouvelles taxes ; mais il faut qu’il y en ait toujours une pour maintenir notre droit. » Il ne permettait plus à lord North de reculer devant la lutte où il l’avait engagé. « J’aurais été grandement surpris (janvier 1778) du désir que vous m’avez exprimé de vous retirer, si je n’avais su que, bien que vous vous abattiez de temps en temps, vous avez pourtant trop d’affection personnelle pour moi et le sentiment de l’honneur trop délicat pour permettre à une pareille pensée de s’emparer de votre esprit. » Quelques mois après, lord North voulait commencer une négociation avec lord Chatham et ses amis pour leur céder le pouvoir. Le roi y mit une condition qui rendait tout arrangement impossible, c’est que lord Chatham accepterait lord North comme chef du cabinet, et il ajoutait : « Ceci dit, je n’ajouterai qu’un mot, afin de bien mettre devant vos yeux mes plus intimes pensées. Je crois qu’aucune considération d’avantage pour le pays et de danger pour moi-même ne pourra jamais me décider à m’adresser à lord Chatham ou à toute autre branche de l’opposition. Honnêtement, j’aimerais mieux perdre la couronne que de subir l’ignominie de la porter sous leur joug… Tant qu’il y aura dans le royaume dix hommes pour me soutenir, je ne me livrerai pas à un tel esclavage. Il est impossible que la nation ne m’appuie pas ; mais, si elle ne m’appuie pas, elle aura un autre roi. » Une autre fois, il écrivait à lord North : « Voulez-vous, à l’heure du danger, m’abandonner comme a fait le duc de Grafton ? » Lorsque lord Chatham mourut, George III tirait parti de cet événement pour réconforter son hésitant ministre : « La fin de lord Chatham ne peut-elle vous décider à rester à la tête de mes affaires ? » Jusqu’au bout, le roi demeura pressant, persévérant, inflexible, et le ministre, averti par la clairvoyance de son esprit du danger de la politique personnelle, céda