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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/309

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Mariage de Figaro répond en homme qui a dépouillé sa robe de juge. C’est du Beaumarchais plus naturel :


« Ce 4 septembre 1790.

« J’ai reçu la lettre tout aimable d’un monsieur qui signe Germain ou Saint-Germain et qui se dit avocat d’un sieur Merle, ce dont je félicite son client. Quand j’étais lieutenant-général du tribunal conservateur des plaisirs du roi, j’étais condamné à écouter tout ce qui plaisait aux plaideurs attaqués ou attaquans, et je me conduisais suivant mon équité, mes lumières et le texte des ordonnances que j’adoucissais de mon mieux ; mais, aujourd’hui qu’il n’y a plus, Dieu merci, de chasse à conserver ni de tribunal pour cette conservation, je n’ai plus l’ennui de recevoir des requêtes et d’y répondre. Je prie donc M. l’avocat Germain ou Saint-Germain de diriger ses louables leçons sur des objets dont ma jeunesse puisse encore profiter. Je ne suis plus le juge du fin merle[1] qui l’a choisi pour avocat.

« Caron-Beaumarchais. »


C’est en 1790 que Beaumarchais parle si lestement de ses anciennes fonctions de lieutenant-général des chasses. À l’époque où nous sommes, c’est-à-dire en 1763, il ne se doutait guère que la révolution emporterait la charge féodale dont il avait été un moment si fier. Il se partageait entre les devoirs de cette charge, les fonctions de contrôleur de la maison du roi et celles de secrétaire du roi, sans préjudice de trois ou quatre entreprises industrielles, sans oublier non plus les plaisirs qu’il n’oublia jamais, ni les affections de famille qui tinrent toujours une grande place dans sa vie. Il avait acheté rue de Condé une jolie maison dans laquelle il avait installé son père, ses deux plus jeunes sœurs non mariées, et où il venait passer toutes ses heures de liberté, lorsqu’une lettre de ses sœurs de Madrid le détermina à partir pour l’Espagne.


III. — BEAUMARCHAIS ET CLAVIJO. — UN AN DE SÉJOUR À MADRID.

L’aventure de Beaumarchais avec Clavijo à Madrid, en 1764, est assez généralement connue par le dramatique récit qu’il en a publié lui-même dix ans plus tard, en février 1774, dans son quatrième mémoire contre Goëzman. Il suffira donc de contrôler les détails principaux de ce récit à l’aide de la correspondance intime que j’ai entre les mains.

On sait que deux des sœurs de Beaumarchais, — dont l’une mariée avec un architecte, — étaient allées s’établir à Madrid. Un littérateur espagnol, nommé Joseph Clavijo, était devenu amoureux de la cadette des deux sœurs ; il y avait entre eux une promesse de mariage qui devait s’effectuer aussitôt que le jeune homme, dénué de fortune, aurait obtenu un emploi qu’il sollicitait. L’emploi obtenu et les bans publiés,

  1. Beaumarchais n’a jamais pu résister à la tentation d’un calembour.