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de répartir et signer l’ordre d’envoi desdites bougies, qui de tout temps a appartenu au lieutenant-général de votre siège.

« L’exactitude et le zèle avec lesquels le suppliant a toujours rempli les fonctions de sa charge jusqu’à ce jour lui font espérer, monsieur le duc, que vous voudrez bien le maintenir dans tous les droits de ladite charge contre toute espèce d’entreprise et d’innovation. Lorsque M. de Schomberg fut à la Bastille, le roi trouva bon qu’il y fît le travail des Suisses qu’il avait l’honneur de commander. La même chose est arrivée à M. le duc du Maine[1]. Le suppliant est peut-être le moins digne des officiers de votre capitainerie, mais il a l’honneur d’en être le lieutenant-général, et vous ne désapprouverez certainement pas, monsieur le duc, qu’il empêche que la première charge de cette capitainerie s’amoindrisse entre ses mains, et qu’aucun officier ne s’immisce dans ses fonctions à son préjudice.

« Caron de Beaumarchais. »


Beaumarchais avait pu à la rigueur supporter la prison du For-l’Évêque ; c’était pour lui, gentilhomme de fraîche date, ce qu’était la Bastille pour un Schomberg ; mais lorsqu’en 1785, par un acte d’arbitraire des plus scandaleux, il se vit emprisonné pendant cinq jours dans une maison de correction, sa fierté de lieutenant-général des chasses en fut révoltée, et il envoya noblement sa démission par la lettre suivante au duc de Coigny, qui avait succédé au duc de La Vallière :


« Paris, ce 22 mars 1785.
« Monsieur le duc,

« L’affront que j’ai reçu, sans que je l’aie mérité, d’une main trop profondément respectée pour que je puisse faire autre chose que gémir en attendant que les preuves les plus éclatantes de mon innocence soient mises sous les yeux du roi ; l’affront que j’ai reçu, dis-je, monsieur le duc, m’ayant rayé de la société des hommes, je me suis imposé chez moi une prison perpétuelle, et, comme M. le duc de Coigny ne doit être effleuré en rien de ce qui se rapporte à lui par un événement aussi étrange, j’ai l’honneur de vous prier d’accepter ma démission de la place de votre lieutenant-général. Ce changement dans mon sort n’altérera en rien le respectueux dévouement avec lequel je suis,

« Monsieur le duc, votre, etc.

« Caron de Beaumarchais. »


Cinq ans après cette dernière lettre, il n’existait plus ni capitainerie, ni tribunal de la varenne du Louvre, et messire l’ex-lieutenant-général était devenu simplement le citoyen Beaumarchais. Un de ses anciens justiciables, lui gardant rancune de quelque arrêt conservateur des plaisirs du roi, eut l’idée de lui faire écrire à ce sujet par un avocat une lettre d’injures et de menaces, à laquelle l’auteur du

  1. On voit que messire Caron de Beaumarchais ne va pas chercher ses précédens en roture. Il lui faut des Schomberg ou des princes du sang.