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Aye ! aye ! aye ! je frissonne !
Aye ! aye ! aye ! mon cœur m’abandonne !
Ingrat, reviens.
Mon innocence était mon bien ;
Tu me l’ôtas,
Je n’ai plus rien.
Devais-je, hélas !
Tout hasarder,
Tout perdre, pour te conserver ?
Mais quelqu’un vers moi prend l’essor…
Le cœur me bat… C’est mon Lindor !
Soupçons jaloux, éloignez-vous !
Craignez de troubler un moment si doux !

« Ma chère Boisgarnier, si tu tenais l’air de cette jolie séguedille et l’accompagnement de guitare que j’ai fait (dans un pays où tout le monde en joue et ne peut accompagner ma séguedille comme moi, qui, par égard pour le pays, broche de temps en temps quelque chose pour leur instrument favori), tu chantonnerais, tu ânonnerais, peut-être à la fin tu y viendrais. Va, je te promets l’air et l’accompagnement, si j’ai un moment d’ici au premier courrier. Mais que dirais-tu de moi si je te le portais moi-même ? Effectivement, je suis bien près de mon départ ; un mot du ministre peut me mettre en route d’ici à douze jours.

« Bonsoir, mon cher père ; il est onze heures et demie, je vais boire du sirop de capillaire, car depuis trois jours j’ai un rhume de cerveau affreux ; mais je m’enveloppe dans mon manteau espagnol, avec un bon grand chapeau détroussé sur mon chef, ce qu’on appelle être en capa y sombrero, et quand l’homme, jetant le manteau sur l’épaule, se cache une partie du visage, on appelle cela être embossado ; c’est ce que j’ajoute à mes précautions, et, dans mon carrosse bien fermé, je vais à mes affaires. Je vous souhaite une bonne santé. En relisant cette lettre que je vous envoie toute mal torchée qu’elle est, j’ai été obligé d’y faire vingt ratures pour lui donner une espèce de suite ; ceci est pour vous corriger de lire mes lettres aux autres ou d’en tirer des copies. »


C’est en effet d’une plume rapide comme la pensée que Beaumarchais écrit cette longue lettre, où on le voit passant d’un sujet à l’autre avec la plus étrange flexibilité de goûts et d’aptitudes. Ici des calculs, là des méditations philosophiques, ailleurs du sentiment, plus loin du badinage, partout de la sincérité et de l’entrain : tel est ce Protée. Voici une autre lettre inédite de lui, où il se peint dans le salon de l’ambassadeur de Russie à Madrid, autour d’une table de jeu, et dont la verve et le mouvement me déterminent à la donner tout entière. Elle est adressée à sa sœur Julie. C’est encore Beaumarchais vu sous un autre aspect.


« Madrid, ce 11 février 1765.

« Tu peux te rappeler, ma chère Julie, que je t’ai promis un de ces cour-