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l’événement. D’année en année, on voyait ici et là surgir quelque aventurier se disant le comte de Kœnigsmark. Tantôt c’était sous les haillons d’un malheureux proscrit, tantôt sous l’uniforme d’un officier étranger que se montrait le revenant. Ce qui demeure acquis, c’est que le véritable Kœnigsmark ne reparut jamais et que jamais les sœurs de Philippe ne furent dupes de ces diverses impostures imaginées comme toujours dans la seule intention d’extorquer de l’argent à la famille.

La tragique disparition de ce frère, qu’elle aimait tendrement, fut pour la sœur un de ces coups de tonnerre qui changent en un jour les conditions de l’existence. Sous l’impression de cet événement, la jeune fille de dix-huit ans se transforma et revêtit en quelque sorte ce caractère d’indépendance qu’amène le sentiment de la responsabilité. Non contente de pleurer la victime, elle lui voulut susciter des vengeurs. Elle écrivit à différens princes d’Allemagne des lettres pleines d’énergie et de fermeté ; mais ceux-ci, prévoyant une affaire qui pouvait devenir orageuse, refusèrent de s’y embarquer, les uns en ne donnant pas signe de vie, les autres en éludant la question, à l’exemple de cet excellent duc de Mecklenbourg-Schwerin, dont la réponse, toute guillerette, peut sembler, en pareil sujet, un véritable lourde force, et mérite à ce titre qu’on la cite :

« Madame,

« J’ai reçu votre lettre et ne saurais trop vous dire combien je déplore l’infortune de votre très cher frère. Conservons cependant l’espérance qu’il se retrouvera. La cause de tout ceci, bien qu’elle demeure encore un mystère, se laisse néanmoins pressentir. Dame Vénus n’y est pas étrangère, et pourrait-on payer trop cher, fût-ce de sa vie, les tendresses de l’objet aimé ?

« Adieu donc, mon cher ange. Votre très dévoué,

« Frédéric-Guillaume.
« Schwerin, 18 juillet 1674. »


De telles bucoliques n’étaient guère de nature à consoler la pauvre sœur. Aurore entreprit de pourvoir seule aux soins que lui imposait sa piété fraternelle, et se mit dès-lors à parcourir l’Allemagne, à visiter les cours et les souverains, cherchant partout un prince qui voulût bien se déclarer aux yeux du monde le paladin de la noble cause qu’elle avait embrassée. Ainsi arrivait à Dresde l’héroïque voyageuse, à Dresde, où sa destinée l’attendait. Une lettre de M. Stepney, alors ministre d’Angleterre, à son collègue de Hanovre, par le en ces termes des premières démarches d’Aurore : « 24 juillet 1694. La sœur du comte de Kœnigsmark est arrivée ici dans le but de tout faire pour intéresser l’électeur au sort de son malheureux frère, qu’elle persiste à croire encore de ce monde. Là-dessus l’électeur a donné les ordres les plus impératifs pour qu’il fût réclamé par son agent ; mais son cher cousin l’électeur de Hanovre se borne à répondre qu’on ne lui