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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/335

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MADEMOISELLE DE KŒNIGSMARK.

le mérita mieux que ce railleur charmant, auprès duquel nulle femme n’obtenait grâce et dont nulle bienséance n’arrêtait la langue maudite, lorsqu’il s’agissait d’amener le sourire sur les lèvres moroses d’une altesse.

Étrange mystère que la destinée de ce dernier des Rawenswood ! On dirait une sanglante histoire du moyen-âge ayant le XVIIIe siècle pour théâtre ; la sauvagerie des mœurs barbares et les raffinemens de l’intrigue moderne, quelque chose comme Frédégonde donnant la main à Watteau dans une pastorale héroï-comique. Encore aujourd’hui l’ombre et le doute planent sur les circonstances du terrible événement qui mit fin à l’existence du plus beau, du plus brave, du plus entreprenant et du plus recherché des gentilshommes. Où repose-t-il ? On l’ignore. Où se cache cette tombe muette que tant de gens intéressés à la découvrir ont poursuivie avec acharnement ? pour avoir le secret de cette disparition, le mot de la lugubre énigme, la sœur, aux jours de son crédit, remua l’Europe entière. Vains efforts ! la fosse où s’abîma le jeune comte de Kœnigsmark a pris rang parmi ces mystérieuses sépultures comme l’histoire en compte quelques-unes : tombes désertes que ni les contemporains n’ont connues, ni la postérité, et sur lesquelles jamais la pitié ne répandit une larme, la religion une prière ! Il y a environ un siècle qu’à Hanovre, dans l’antique résidence des électeurs, on découvrit un squelette humain sous le parquet d’une chambre à coucher. Ce squelette, c’était celui du dernier des Kœnigsmark. Qui l’a dit ? La légende ; mais l’histoire ? Elle se tait, « Il y a trois jours, mon maître est sorti le soir vers dix heures, et depuis il n’a point reparu, » écrit dans ses angoisses à Aurore de Kœnigsmark le secrétaire de son frère. Et les lettres se succèdent ainsi pleines d’anxiété, de doutes, de funestes pressenti mens. Le comte est sorti et ne revient pas. Que peut-il être devenu ? Des laquais de la cour l’ont vu rôder dans un des corridors du château ; l’un d’eux prétend qu’il était enveloppé d’une cape grise et se dirigeait vers les appartemens de la princesse Sophie-Dorothée. Entre ces corridors et ces appartemens s’étend l’antique salle d’armes ; il l’a traversée en entrant, mais ame qui vive ne l’en a vu sortir. D’autres, sur le récit d’un page attardé cette nuit-là dans les couloirs du palais, racontent qu’un homme enveloppé d’un manteau de couleur claire s’est vu assailli par deux sbires armés, lesquels, à l’aide d’une lanterne sourde, l’ont ensuite conduit dans la tour du sud. Enfin quelques-uns se disent, mais tout bas, que le comte, en quittant le théâtre, était allé faire visite à la princesse, et que là cinq muets, s’étant emparés de sa personne, l’ont lié et garrotté sur le sopha même de son altesse électorale, qui, saisie d’horreur à ce spectacle, est tombée évanouie et sans connaissance.

Bien long-temps encore, les contemporains gardèrent des doutes sur