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ce mélange de superficiel et de doctoral qui caractérise assez la société allemande au XVIIIe siècle, marque d’un trait original les derniers jours de l’infatigable chanoinesse. Souffrante, elle passait des heures à disputer avec son médecin sur le nom grec ou latin de sa maladie, et, qui pis est, elle se traitait elle-même à l’aide de toute sorte d’électuaires et de mixtures qu’elle fabriquait de ses mains. Après avoir cru jadis aux philtres de beauté, après avoir préparé tant et plus de ces eaux miraculeuses pour conserver le teint et la jeunesse, on croyait aux élixirs de longue vie, aux recettes de bonne femme. Ainsi va le monde. Cette fin d’Aurore de Kœnigsmark est d’ailleurs bien la fin d’une vieille coquette ; rien n’y manque, hélas ! ni les tracas de toute espèce, ni les procès, ni le besoin d’argent, chose horrible pour un homme et bien plus horrible encore pour une femme ! En Livonie, en Suède, à Hambourg, dans le duché de Brunswick, où ne plaidait-elle pas ? La réduction et le séquestre d’une part, de l’autre les prodigalités, la mauvaise gestion, les dilapidations continuelles avaient réduit à néant cette immense fortune des Kœnigsmark. Quant aux énormes dépenses qui amenèrent la ruine complète d’Aurore, ce fut son ambition maternelle qui les lui coûta. Au terme de son aventureuse existence, comme si elle eût craint que les agitations ne lui fissent défaut, la noble dame avait rêvé le trône de Courlande pour son fils le comte de Saxe. À nourrir cette chimère, elle consacra les derniers débris échappés au naufrage des biens de sa famille. En dépit de ses incessantes démarches, de ses brigues nombreuses toujours accompagnées de nouveaux sacrifices d’argent, Aurore eut le chagrin de voir échouer tous ses projets. Atteinte à la fois dans son orgueil de femme et dans ses sentimens de mère, son pauvre cœur ne s’en releva pas. Elle comprit que l’heure était venue de quitter un monde où son crédit avait cessé de compter, et ne songea plus qu’à faire une mort digne d’une personne de son mérite et de sa naissance. La comtesse Aurore de Kœnigsmark mourut le 14 février 1728. Les cloches de l’abbaye sonnaient encore pour le trépas de l’illustre chanoinesse, qu’un messager se présenta pour recueillir, au nom de son fils, ce qu’elle pouvait avoir laissé de bijoux et d’argent. Le comte de Saxe se montrait fort pressé de savoir ce que lui rapporterait la mort de cette mère dont il n’avait pas même assisté les derniers instans. On fit droit à sa demande, et l’envoyé du brillant Maurice reçut une somme de cinquante-deux écus, laquelle composait tout le capital légué à ses héritiers par l’ancienne favorite d’un grand prince, par celle qui fut, aux jours de son empire tout-puissant, la souveraine d’un souverain ! Et nunc erudimini !

— Si vous allez à Quedlinbourg, m’avait-on dit à Hanovre, ne manquez pas de vous faire montrer la momie. — Je n’eus garde d’oublier la recommandation. La voilà donc, la reine de beauté, la rivale des