Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/400

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

actuelle de la France, avec les perspectives nouvelles qui s’ouvrent pour le pays, avec ce goût de la sécurité si prompt à se développer, avec les besoins, les vœux, les tendances qu’engendrent le dégoût et la lassitude des révolutions, et aussi avec ces derniers reflets des pensées sinistres que laissent après elles les prédications anarchiques. Qu’il s’ourdisse quelque part des machinations secrètes pour envelopper dans une mort commune, au détour d’un chemin, le chef de l’état et ceux qui l’environnent, cela n’indique-t-il pas le travail désespéré de passions encore mal éteintes ? Que le prince Louis-Napoléon pose les fondemens d’une cathédrale à Marseille, se plaisant à redire que la religion ne doit point être un instrument politique ; qu’il saisisse les occasions de se trouver en contact avec le clergé et de l’honorer, n’est-ce point l’indice de la place qu’occupent les idées religieuses dans toute entreprise de restauration sociale ? Si les populations, allant droit au but, saluent dans le président de la république un chef couronné, que font-elles en cela autre chose que dégager le sens de tous les événemens contemporains et donner un corps aux idées de stabilité qui n’ont jamais plus de prise sur les esprits que quand la stabilité n’existe pas ? Lorsque les agitateurs excitent et soulèvent les masses populaires, ils ne savent pas quelle force mystérieuse, invincible et mobile ils mettent en jeu : c’est une force terrible, justement parce qu’elle est anonyme et qu’elle n’a point à expliquer ses changemens. Ces masses qu’ils déchaînent, les agitateurs croient en être les maîtres, parce qu’ils flattent leurs passions et leurs convoitises ; ils imaginent pouvoir les lancer ou les retenir à leur gré, les plier à leurs ambitions et à leurs désirs. Les plus naïfs ou les plus honnêtes sont ceux qui pensent qu’elles s’intéressent à leurs théories, à leurs constitutions, à leurs créations abstraites, à leur gouvernement direct. Insensés ou naïfs, pervers ou honnêtes, les uns et les autres méconnaissent un des premiers instincts des masses populaires : le besoin d’être dirigées, gouvernées, commandées, — et à leurs yeux ce commandement a encore ses conditions. Cela est vrai de tous les temps et de tous les pays. Nous ne savons si on se souvient d’un événement mystérieux qui eut lieu en Russie vers 1825. Une vaste conspiration s’était organisée : peut-être serait-il difficile d’en déterminer au juste le caractère ; mais enfin elle avait pour but ostensible la constitution d’une république slave, elle s’était recrutée du reste dans les plus hauts rangs de l’armée et de l’aristocratie russes. C’est à cette conjuration que le malheureux prince Troubetskoï dut d’être envoyé aux mines. Au moment où l’un des conjurés, Mourawieff, soulevait une compagnie au nom de la république slave, un vieux soldat s’approche et lui dit : « Je veux bien aussi crier vive la république slave ! mais qui sera notre empereur ? » Le mot du vieux soldat russe n’est-il pas toujours un peu le mot des masses populaires ? — La république, soit ! diront-elles ; mais qui sera notre empereur ? — En d’autres termes, qui pourvoira à cet éternel besoin d’une direction et d’un commandement que nous ressentons ? Sera-ce l’agitateur, le tribun, le chef de quelque société secrète ? C’est là encore un des admirables instincts du peuple de ne voir une personnification naturelle et sérieuse du pouvoir souverain que dans un prince, dans un homme issu d’une famille investie d’un caractère particulier, accoutumée à régner. Grand exemple de la puissance de l’idée d’autorité, d’hérédité et de tradition ! Les