Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/401

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sophismes révolutionnaires peuvent l’obscurcir un moment, elle renaît bientôt d’elle-même. On la brise dans sa forme antique ; les masses populaires la saluent sous une forme nouvelle à qui la gloire tient lieu d’ancienneté, et elles se pressent autour de celui dont les événemens font à leurs yeux le représentant actuel de cette idée d’autorité et d’hérédité ; elles remettent sur pied ce que les révolutionnaires abattent à coups de sophismes destructeurs et de déclamations. La question du grenadier russe est résolue pour elles. Au milieu des incidens multipliés qui se produisent sur le passage du prince Louis-Napoléon, il serait difficile sans doute de trouver chaque jour la nouveauté et l’imprévu. Ce qu’il y a de plus frappant, c’est de voir comment la pensée même du voyage marche, se développe et s’affermit, et il reste encore, à travers tout, plus d’un épisode qui, pour n’être point dans le programme, n’en a pas moins d’intérêt et de signification. Par exemple, nous trouvons un grand sens dans quelques paroles prononcées à l’improviste par le prince Louis-Napoléon à Montpellier, dans un bal populaire où on lui criait d’assez près : Vive l’amnistie ! — « Tâchez de vous en rendre dignes par votre patriotisme et votre sagesse, » a répondu le prince en faisant face au cri, qui s’est éteint subitement sur toutes les lèvres. Que de fantômes s’évanouiraient ainsi, si on savait y faire face avec fermeté et à-propos ! Malheureusement, en France, quand on souhaite une chose, la première pensée qui vienne, c’est d’en faire l’objet d’un cri quelconque où se cache un certain sens menaçant. Selon les occasions et les temps, on crie : Vive la liberté ! vive la charte ! vive la réforme ! vive l’amnistie  ! Cela dispense de faire ce qu’il faut pour arriver à son but par les moyens naturels, en rendant tout facile et légitime. On se retire satisfait d’avoir sauvé la patrie et le progrès par ses acclamations réformistes, et il se trouve qu’on a vociféré le mot d’ordre d’une révolution. Il n’y aurait rien de plus curieux que l’histoire des cris publics en France, de leur popularité et de leur discrédit. Mieux vaudrait un peu moins de ces manifestations extérieures et bruyantes et un peu plus de cette sagesse et de ce patriotisme qui conduisent au résultat, qui donnent à la vie politique son caractère sérieux et sa consistance. Il faut bien que les peuples sachent que dans la bonne conduite et dans la modération ils ont les meilleurs moyens d’influer sur leurs gouvernemens, de leur communiquer leur esprit, d’acclimater dans leur vie publique la douceur et la libre régularité, de rendre inutiles les mesures rigoureuses et les grands déploiemens de pouvoir. Les autorités puissantes, pas plus que les mesures sévères, ne naissent d’elles mêmes ; elles s’expliquent par un certain état de la société qui les rend très compréhensibles. Par quoi cet état peut-il être efficacement modifié, si ce n’est par la sagesse et le patriotisme ? Voilà pourquoi ces paroles prononcées à Montpellier ont un sens politique que les circonstances rendent plus manifeste, et qui, dans tous les cas, devrait être toujours présent aux peuples comme aux individus.

Quant au développement de la pensée qui plane sur le voyage tout entier du prince Louis-Napoléon, il est facile de le suivre et d’en saisir en quelque sorte les deux phases les plus caractéristiques, les deux points culminans. À Lyon, le prince disait : « Je ne sais encore sous quel titre je puis rendre le plus de services… Il est bon que la nation se recueille. » À Bordeaux, la pen-