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sée se dégage à la suite des manifestations du midi. Tout vient converger vers ce banquet de la chambre du commerce où le prince-président a adressé au pays sa récente allocution. On a dit que le discours de Bordeaux était un événement pour la France et pour l’Europe ; oui, sans doute, c’est un événement, et on peut remarquer ce qu’une pensée vraie communique de force et de netteté au langage du prince Louis-Napoléon. Ce qui doit le plus frapper dès l’abord dans le discours de Bordeaux, c’est qu’il dit le mot de la situation, c’est qu’il répond à des instincts très profonds, à des préoccupations, à des besoins, à des inquiétudes peut-être, en faisant de la paix le pivot de la politique actuelle. Le prince-président répudie cette fatalité qui, pour beaucoup d’esprits, semble lier ces deux mots d’empire et de guerre. « La gloire se lègue à titre d’héritage, non la guerre, » dit-il, par une expression heureuse. Ce n’est pas que le champ des conquêtes possibles et légitimes soit restreint. Il reste à conquérir à la religion, à la morale et à l’aisance tant de populations misérables et ignorantes. Il reste « d’immenses territoires incultes à défricher, des ports à creuser, des rivières à rendre navigables, des canaux à terminer, notre réseau de chemins de fer à compléter, un vaste royaume, en face de Marseille, à assimiler à la France, tous nos grands ports de l’ouest à rapprocher du continent américain par la rapidité de ces communications qui nous manquent encore ; nous avons enfin partout des ruines à relever, de faux dieux à abattre, des vérités à faire triompher. » Ce langage a produit de l’impression, il devait en produire ; et, qu’on le remarque, où pouvait-il être tenu avec plus d’à-propos que dans une ville où tant d’intérêts sont réunis, où, du lieu même où le prince parlait, il pouvait voir flotter les pavillons d’innombrables navires prêts à cingler vers tous les points du globe ? Nous ne nous berçons point sans doute de rêves de paix universelle et perpétuelle : nous tâchons d’écarter les illusions ; mais enfin, nous aussi, nous nous demanderons s’il serait vrai que la guerre pût se trouver dans la logique des choses aujourd’hui, comme cela peut-être a eu lieu il y a plus d’un demi-siècle.

Au moment où éclatait la révolution française, à travers les crimes qui allaient souiller ce temps, il y avait tout un ensemble de réformes hardies, légitimes et réalisables dans leur modération même, qui s’inauguraient pour faire partie désormais des sociétés modernes ; c’était, à beaucoup d’égards, un ordre de choses nouveau venant se heurter contre l’ordre ancien représenté par la plupart des gouvernemens de l’Europe. De là ce duel gigantesque qui s’est poursuivi à travers les phases les plus diverses, et qui a fini par la défaite matérielle de la France et par sa victoire morale, du moins par la sanction de quelques-uns des principes justes, sains et modérés, qu’elle avait proclamés. En est-il de même aujourd’hui au sortir des quelques années orageuses que nous venons de traverser ? Ce qui distingue profondément au contraire la révolution de février, c’est son impuissance, son indigence, sa stérilité. Maintenant même qu’elle est sur le point de descendre définitivement dans la fosse, on ne lui doit point d’autre justice que celle que lui rendait un ministre du président de la république, quand il l’appelait une catastrophe. La révolution de février n’a rien fait prévaloir, parce qu’elle n’avait rien à faire prévaloir. Quelle idée art-elle mise au monde ? Quel principe nouveau et utile