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au moyen-âge : nous y trouverons partout le même ouvrier divin travaillant sur les mêmes matériaux imparfaits.

Parlerons-nous, par exemple, de cette philosophie même dont le révérend père Ventura s’est fait dans ses conférences le panégyriste encore plus que l’interprète? Il est parfaitement vrai qu’au moyen-âge les docteurs de l’église, qui jusque-là n’avaient fait de la philosophie en quelque sorte que par occasion, lorsque l’exigeaient les besoins de la prédication religieuse, présentent pour la première fois aux fidèles un système de philosophie complet, dogmatique, régulièrement établi et enseigné. La Somme de saint Thomas est une encyclopédie philosophique; toutes les parties se tiennent, tous les raisonnemens se suivent, tous les problèmes de la nature humaine et divine y reçoivent une solution logique. C’est donc une philosophie en règle, faite, sinon par l’église, au moins dans son sein et avec sa projection. Est-ce à dire que pour cela la main de l’homme ne s’y laisse pas apercevoir? Elle s’est au contraire marquée par une empreinte forte, il est vrai, et grandiose, mais qui est pourtant une empreinte humaine. L’ange de l’école ne nous contredirait pas. Il est un nom qu’il cite à toutes les pages, une autorité qu’il respecte non pas à l’égal sans doute, mais immédiatement au-dessous de l’Écriture : on a nommé Aristote. Pour tout bon scolastique, Aristote vient aussitôt après Jésus-Christ et ses apôtres : si l’on s’agenouille devant les uns, on s’incline devant l’autre. L’Organon du philosophe de Stagyre est, avec l’Écriture, le coefficient de toutes les formules scolastiques. Que dira donc M. l’abbé Gaume, de trouver encore ici un des systèmes philosophiques de l’antiquité étroitement lié ainsi à une philosophie chrétienne? Qu’en dira le révérend père Ventura, ou plutôt pourquoi n’en dit-il rien, car il ne peut l’ignorer? Par quelle ingratitude Aristote ne tient-il aucune place, ne reçoit-il aucun honneur dans la réhabilitation de la scolastique?

Avec la permission du père Ventura, nous croyons deviner la raison de son silence. Le révérend père veut absolument que la scolastique soit la forme éminente et presque unique de la raison catholique. Il nous l’impose tout entière avec une autorité dogmatique. Tant qu’il n’invoque que le nom de saint Thomas, ses auditeurs s’y prêtent d’assez bonne grâce; mais, quelque loin qu’ils puissent porter la soumission, ils seraient surpris, nous en sommes sûr, d’entendre affirmer en chaire qu’on ne peut être bon chrétien sans commencer par être péripatéticien, et que les dix catégories sont aussi respectables que le Décalogue. Des gens raisonnables en concluraient que, puisque le catholicisme a pu faire alliance avec un système philosophique qui n’avait rien de chrétien à son origine, il pourrait aussi, dans d’autres circonstances, se prêter à d’autres systèmes encore. Ils arriveraient peut-être ainsi à une opinion, suivant nous modeste et sensée, à