savoir qu’aucune philosophie, pas même celle du moyen-âge, ne peut se dire ni chrétienne ni catholique par excellence, ni surtout par exclusion à toute autre, parce qu’il n’a pas plu à Dieu de nous révéler un système métaphysique tout entier, parce qu’il ne nous a donné la vérité que par mesure, dans la proportion de nos besoins réels et non de nos désirs curieux, et qu’en dehors des points qu’il a confiés à la foi il laisse la raison de l’homme s’exercer dans sa liberté et dans son ignorance.
Force est donc bien de convenir que la philosophie scolastique est, comme toute autre, humaine et par suite faillible. De cette condition suit encore une autre conséquence, c’est qu’elle pourrait bien n’avoir eu dans son ensemble qu’une application et une utilité temporaires. Que si en effet les vérités philosophiques sont, par leur essence, de tous les lieux et de tous les temps, les méthodes qui y mènent changent suivant la disposition des esprits. Le point où l’on veut arriver est toujours le même, mais le point d’où l’on part est souvent très différent. Or la philosophie scolastique, nous l’avons dit, part de l’autorité, comme principe fondamental et généralement reconnu; elle admet tous les dogmes de l’église comme autant de vérités incontestables : c’est ensuite à les définir avec précision et à en tirer des conséquences rigoureuses qu’elle applique toute la subtilité et toute la vigueur de la logique d’Aristote. C’est là, aux yeux du père Ventura, le principal mérite de la Somme de saint Thomas; ce n’est pas son tort aux nôtres, mais, si nous osons ainsi parler, c’est sa date; c’est la marque du temps où vécut ce puissant esprit; c’est le caractère de la tache qu’il eut à remplir. Il n’avait pas à faire, comme les pères du premier siècle, à des incrédules raisonneurs ou même à de nouveaux fidèles exercés à la dispute et qu’il fallait ranger à la foi; il avait au contraire des croyans simples et barbares à élever jusqu’à la science. Il n’avait personne à convaincre ni à combattre, mais tout le monde à enseigner; il n’avait pas de doutes à résoudre, mais des lumières à répandre. Comme tout bon architecte doit faire, il bâtit l’édifice de la science sur les bases qu’il trouva déjà posées dans le sol. Son enseignement partit de la foi comme d’un premier principe, parce que la foi était partout répandue; il s’avança au nom de l’autorité, parce que l’autorité était universellement respectée. Est-ce à dire qu’il eût fait de même dans des temps d’incrédulité, de discussion ou de doute, — dans ces temps où l’autorité, avant de se faire obéir, a besoin de se faire reconnaître, — où c’est l’autorité elle-même qui est en question, et où par conséquent commencer par la poser dans les prémisses du raisonnement, ce serait commettre cette faute de logique que l’école elle-même eût appelée cercle vicieux et pétition de principe? Nous croyons saint Thomas beaucoup trop bon logicien pour supposer qu’il se fût rendu coupable d’un