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les fermait à son gré. Un petit nombre d’idées simples, exprimées dans une langue pauvre, mais parfois vive, suffisait à échauffer des âmes ardentes, à éclairer des imaginations naissantes. Comparez avec cette enfance de l’intelligence l’éclat d’esprit de nos publics de théâtre, composés de gens qui ont lu dix journaux dans leur journée, parcouru deux ou trois fois l’Europe sur les chemins de fer, et généralement assisté, même dans la plus courte existence, à deux ou trois révolutions accomplies au nom de principes différens. Que faut-il offrir à des esprits exercés ou gâtés de la sorte pour acquérir sur eux l’ascendant qui appartient à la véritable littérature et qui fait toute la vertu morale de l’art? La littérature du moyen-âge, qui oscille entre la naïveté des légendes et l’aridité scolastique, a-t-elle les ressources nécessaires pour réveiller le goût émoussé et ranimer ces cerveaux malades? N’en doutons pas : il faut une littérature plus compréhensive et plus poignante, qui remplace la candeur évanouie par cette profondeur et cette sagacité morales que donne l’expérience des passions. Il faut une littérature qui dise à cette société, comme le Christ à la Samaritaine pénitente, tout ce qu’elle a fait, qui sache pour cela tout ce qu’elle sait, qui porte toutes ses douleurs, et qui comprenne même ses fautes pour y compatir sans les partager. Pour rendre d’ailleurs un peu de simplicité à une génération subtile, il faut avant tout une littérature naturelle. La nature seule parle à la nature, l’homme seul agit sur l’homme. Or, comme on est de son temps, quoi qu’on fasse et quoi qu’on en ait, les écrivains catholiques qui s’inspirent trop exclusivement des souvenirs du moyen-âge ont toujours je ne sais quoi de guindé et de faux qui se trahit dans toutes leurs paroles et en corrompt les plus salutaires effets. L’humilité qui parle, dit Fénelon, n’est plus humilité; la naïveté qui a le secret d’elle-même est la pire des affectations. Elle a le sort de la vieillesse, dont toutes les grâces cherchées ressemblent à des grimaces. La vraie simplicité, qui est à la fois le sublime de la religion et de l’art, du christianisme et de la littérature, consiste à exprimer les sentimens qui naissent naturellement dans le cœur avec les mots qui viennent naturellement sur les lèvres. Soyons de notre temps et parlons notre langue; cela ne nous empêchera pas d’être catholiques, et c’est l’unique manière d’être éloquent.

Il n’y a donc, suivant nous, pour les écrivains et les hommes catholiques de nos jours, rien à imiter du moyen-âge, rien, si ce n’est l’esprit même qui a fait dans les temps passés et qui seul peut faire encore la grandeur et l’influence de l’église. Cet esprit, nous l’avons dit en commençant et nous demandons la permission de le redire, c’est celui d’une conciliation intelligente avec tous les développemens légitimes des sociétés humaines. La lettre tue, l’esprit vivifie. Il faut imiter du rôle de l’église au moyen-âge, non pas littéralement ses