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— C’est lui? demanda Tirupatty. En ce cas, je me sauve.

— Et moi, je reste, dit Tiruvalla.

Il resta en effet. Quand le nakodah, débarqué sur le sable, se fut acheminé vers la ville, le pêcheur aborda les gens du baggerow avec de très humbles selams. Reconnaissant parmi les matelots arabes celui qui avait fait chavirer la pirogue le jour de l’arrivée, il lui prit affectueusement la main.

— Que me veux-tu? demanda l’Arabe en souriant; c’est moi qui t’ai fait faire un plongeon.

— Bah! c’était pour rire, répondit Tiruvalla; votre nakodah nous a généreusement indemnisés; l’Hindou n’a pas de rancune... Si vous avez besoin de quelque chose, je suis à votre service.

— Nous n’avons plus besoin de rien, dit le matelot; demain soir nous partons avec la brise de terre.

— Déjà? fit Tiruvalla en levant les mains au ciel.

— Le nakodah est pressé de mettre à la voile; sa cargaison est prête, et il a paré sa cabine comme la tente d’un cheik... Il faut qu’il ait trouvé à Alepe un oiseau rare pour lui avoir arrangé une si belle cage...

— Ce sont là des affaires qui ne regardent point de pauvres pêcheurs comme nous, dit Tiruvalla avec indifférence. Que la mer vous soit douce et les vents favorables !

Allah hafiz (Dieu vous garde)! répliqua le matelot, et il courut rejoindre ses camarades, tout en se moquant de l’Hindou, qui semblait par son humilité lui demander pardon de l’injure reçue. Tirupatty se rapprocha de son frère dès qu’il le vit seul.

— Viens donc, lui dit Tiruvalla, as-tu encore peur? Je te pardonne ta poltronnerie de l’autre jour, mais à condition que tu me seconderas dans le projet que je médite. Si tu veux m’aider, je te conterai cela demain; attends-moi ici.

Le rusé pêcheur alla trouver Chérumal, qui s’occupait honnêtement de son travail. Il guetta pendant plus d’une heure l’occasion de lui parler à l’écart; enfin, le mahout ayant conduit son éléphant dans le bois où il avait coutume de lui donner sa nourriture, Tiruvalla vint s’asseoir à ses côtés :

— Tu as là un bel animal; après celui d’Éléphanta, —et qui est de pierre encore, — c’est le plus grand que j’aie jamais vu.

À ce compliment banal qu’on lui avait si souvent adressé, Chérumal ne tourna pas même la tête; il grattait avec son crochet de fer le dos rugueux de l’éléphant, qui paraissait prendre plaisir à ce genre de caresse.

— Dans le bazar, on ne parle aujourd’hui que de Soubala et de son mahout, continua le pêcheur. Sais-tu bien ce qu’on dit encore?