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— Je n’ai pas le temps de m’en informer, répondit Chérumal, qui, comme tous les travailleurs consciencieux, avait horreur des causeurs oisifs.

— Ni moi non plus, dit Tiruvalla; je n’ai pas trop du travail de toute la journée pour gagner ma vie. Si je quitte ma pirogue pour venir te parler, c’est qu’il s’agit de ton intérêt, Chérumal.

— Les propos de bazar ne sont que de vaines paroles, bien sot qui les prend au sérieux, dit le mahout.

— Qui sait? Si je te donnais un moyen de rendre service à la belle fille qui t’a sauvé hier d’un mauvais pas, m’écouterais-tu?

— Bah! dit Chérumal, elle n’a guère besoin de moi...

— En ce cas, au revoir, répliqua Tiruvalla; je ne perdrai pas mon temps à faire tes affaires malgré toi. Pauvre Mallika, il ne tenait qu’à toi de la sauver!

— La sauver... de quoi?... demanda Chérumal avec impétuosité. Est-ce elle qui t’envoie? viens-tu de la part de son père? Qui es-tu? Je ne connais pas même ton nom!... Comment veux-tu que je te croie?

— Tu n’as pas besoin de croire à mes paroles, reprit le pêcheur, il te suffira d’en croire tes yeux. Tiens-toi aujourd’hui et demain, à l’heure où le soleil se couche, aux abords du jardin de Mallika, et tu verras si ta présence peut lui être utile!...

Chérumal écoutait encore de ses deux oreilles, mais Tiruvalla avait disparu. Le mahout ne comprenait point le sens de ce vague discours et se défiait du pêcheur. Celui-ci n’en avait pas dit davantage, parce qu’il entrait dans ses projets de laisser aller les choses aussi loin que possible. En proie à une inquiétude qu’il ne pouvait maîtriser, Chérumal rôda le soir même autour du jardin de Mallika et ne découvrit rien qui justifiât ses alarmes. Tout en se promettant de revenir le lendemain, il persistait à croire que le pêcheur se raillait de sa simplicité.

Cependant Mallika courait un danger réel, celui de tomber dans les filets que lui tendait le nakodah Yousouf Ali. Ce jour-là même, l’Arabe se rendit au jardin de la jeune fille, non à l’heure de midi, comme il avait coutume de le faire, mais le soir. Mallika fut d’autant plus charmée de le voir, qu’elle s’inquiétait déjà de son absence; elle se précipita vers lui dès qu’elle l’entendit venir. Dans son ignorance, elle aimait sincèrement cet étranger qui la comblait de cadeaux; il lui semblait qu’il était plus digne d’affection et meilleur que tous les autres hommes qu’elle avait rencontrés, par cela seul qu’il était plus beau et mieux vêtu. Qu’était auprès de lui le pauvre mahout Chérumal avec son turban de mousseline et la pièce de cotonnade blanche dans laquelle il s’enveloppait comme dans un linceul pour dormir à l’ombre des palmiers? Aucun prestige, ni celui de la richesse, ni celui de l’inconnu, n’entouraient à ses yeux l’Hindou qu’elle s’était accoutumée à voir si