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mercier son excellence de son remerciement, et plus encore des honnêtetés dont elle me comble. Je vous avoue que, sans le charme d’une si attrayante société, ma besogne espagnole serait pleine d’amertume. »


Le père Caron répond sur le même ton badin à ce remercîment un peu singulier, dans une lettre en date du 1er septembre 1764.


« Quoique vous m’ayez donné lieu de me féliciter mille fois de la peine que j’ai bien voulu prendre pour vous il y a trente-trois ans, il est bien certain que si alors j’eusse pu prévoir le bonheur qu’elle vous procure, de pouvoir amuser un peu la belle excellence qui me fait l’honneur de m’en remercier, j’aurais ajouté une petite direction d’intention, qui peut-être vous aurait rendu plus aimable encore à ses beaux yeux. Faites-lui agréer les assurances de mon plus profond respect, avec les offres de mes services à Paris. Mes vœux seraient comblés si j’étais assez heureux pour lui être de quelque utilité ici. Puisqu’elle est amie de ma chère comtesse, je la supplie de vouloir bien lui présenter mon respectueux attachement. »


On conviendra que pour un vieux horloger de la rue Saint-Denis, mis ainsi en demeure par une belle marquise, la réponse n’est pas trop mal tournée. La phrase sur la direction d’intention accuse la lecture des Provinciales ; je vois aussi, dans une autre lettre de Beaumarchais que le père Caron se passionnait volontiers pour certains personnages de roman, notamment pour miss Howe du roman de Clarisse Harlowe, car son fils lui écrit : « Je suis un peu comme votre bonne amie miss Bowe, qui, quand elle avait bien du chagrin, pleurait en riant, ou riait en pleurant. »

Ailleurs Beaumarchais, tout en s’occupant de marier ses sœurs, se met en tête de marier aussi son père, alors veuf de sa première femme. Il voudrait le voir épouser une dame Henry, veuve elle-même d’un consul des marchands, personne âgée, mais aimable, à en juger par la correspondance, qui avait quelque fortune et qui était liée d’amitié avec la famille Caron depuis longues années. « Je ne suis point étonné, écrit de Madrid Beaumarchais à son père, de votre attachement pour Mme Henry ; c’est la gaieté la plus honnête et un des meilleurs cœurs que je connaisse. Je voudrais que vous eussiez été assez heureux pour lui inspirer un retour plus vif. Elle ferait votre bonheur, et vous lui feriez sûrement faire l’agréable essai d’une union fondée sur une tendresse réciproque et sur une estime de vingt-cinq ans. Si j’étais de vous, je sais bien comment je m’y prendrais, et, si j’étais d’elle, je sais bien aussi comment j’y répondrais ; mais je ne suis ni l’un ni l’autre, et ce n’est pas à moi à dévider cette fusée : j’ai bien assez des miennes. » À cette provocation, le père Caron répond, en date du 19 septembre 1764 : « Nous avons soupé hier chez ma bonne et chère amie, qui a bien ri, un voyant l’article de votre lettre, de la manière dont elle se doute que vous vous y prendriez à ma place ; aussi dit-elle qu’elle ne s’y fie-