rait que de bonne sorte, et qu’elle ne vous embrasse de tout son cœur que parce que vous êtes à trois cents lieues d’elle. »
Cependant, son fils aidant, le père Caron parvint à toucher le cœur de Mme Henry, qui avait alors soixante ans, et qu’il épousa en secondes noces le 15 janvier 1766, ayant lui-même soixante-huit ans. Après deux ans de mariage, il perdit sa seconde femme, et je le vois se remariant pour la troisième fois, l’année même de sa mort, à soixante-dix-sept ans, le 18 avril 1775, mais cette fois contre le gré et même à l’insu de son fils, avec une vieille fille astucieuse, qui le soignait et qui s’en fit épouser dans l’espérance de rançonner Beaumarchais. Profitant de la faiblesse du vieillard, elle s’était fait assigner par son contrat de mariage un douaire et une part d’enfant. Or le père Caron ne laissait aucune fortune. La portion de bien qu’il avait eue de sa seconde femme avait servi à couvrir une partie des avances de son fils, qui lui fournissait de plus une pension viagère. Un règlement de compte garantissait Beaumarchais ; mais la troisième femme du père Caron, spéculant sur la célébrité du fils et sur son aversion pour un procès de ce genre, au moment même où il sortait à peine du procès Goëzman, le menaça d’attaquer ce règlement de compte et de faire du bruit. Pour la première fois de sa vie, Beaumarchais capitula devant un adversaire et se débarrassa moyennant 6,000 francs de la personne en question, personne d’ailleurs très fine, très hardie et assez spirituelle, à en juger par ses lettres. Sur le dossier de cette affaire, je lis, écrits de la main de Beaumarchais, ces mots : Infamie de la veuve de mon père pardonnée. C’est à l’influence de cette rusée commère qu’il faut attribuer le seul moment de mésintelligence entre le père et le fils que je surprenne dans une correspondance intime qui embrasse les quinze dernières années de la vie du premier ; encore faut-il ajouter que cette mésintelligence ne dura qu’un instant, car on a vu plus haut, par la dernière lettre du vieux horloger, que la bonne harmonie entre son fils et lui était complètement rétablie à l’époque de sa mort, qui eut lieu à la fin du mois d’août 1775.
Pour compléter ce tableau de famille, il nous faut maintenant grouper autour du père Caron les sœurs de Beaumarchais. Il en eut cinq, dont deux vinrent au monde avant lui. L’aînée, Marie-Josèphe Caron, mariée à un architecte nommé Guilbert, alla se fixer à Madrid avec son mari et une de ses sœurs. Elles y établirent un magasin de modes. Le mari, qualifié architecte du roi d’Espagne, devint fou et mourut ; sa veuve revint en France en 1772, sans fortune avec deux enfans. Beaumarchais lui fit jusqu’à sa mort une pension qu’il continua aux enfans, dont le dernier mourut en 1785. La seconde sœur de Beaumarchais, Marie-Louise Caron, qu’on nomme Lisette dans la correspondance de famille, est précisément la fiancée de Clavijo, l’héroïne de l’épisode ro-