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tuel de mes affaires de quoi vous créer une destinée agréable, et c’est le seul vœu de mon cœur ; mais si, par un malheur affreux, tout l’argent que j’envoie à Saint-Domingue allait s’engloutir dans le délabrement d’une affaire que nous ne connaissons encore que sur le témoignage d’autrui, ces fonds retranchés de ma fortune ne me permettraient plus de soutenir l’état que je vous aurais donné ; et quel serait mon chagrin alors ! j’encourrais la censure publique, et ma Pauline verrait déchoir son état. Cette inquiétude est donc la seule raison qui me force de retarder la demande de votre main, après laquelle je soupire tout bas depuis long-temps. Je ne sais ni quelles sont vos reprises sur les biens de votre cher oncle, tant pour la dot de votre feue tante que pour des dettes dont j’ai entendu parler indirectement. Il serait malhonnête à moi d’entamer aucune explication à ce sujet, ni avec vous ni avec lui. Mon caractère y répugne, et puis sa nièce, pour laquelle il me paraît avoir beaucoup de tendresse, pouvant espérer des bienfaits de lui à l’occasion de son établissement, il me paraît mal séant de commencer des comptes de rigueur qui ne doivent jamais avoir lieu entre d’honnêtes parens. Je ne dirai donc pas un mot de plus à ce sujet.

« Cependant, ma chère Pauline, pour passer des jours heureux, il faut être sans inquiétude sur le bien-être à venir, et je ne vous aurais pas plus tôt dans mes bras, que je tremblerais qu’un malheur ne nous fît perdre les fonds envoyés en Amérique, car je n’ai pas mis moins de 80,000 francs à part pour cet objet. Voilà, ma chère Pauline, la cause d’un silence qui peut vous paraître bizarre après ce que j’ai fait. Il y a deux partis convenables, si vous acceptez ma recherche : le premier, de patienter jusqu’à ce que l’entier succès de mes soins et de mes avances me permette de vous offrir un état invariable ; le second, que vous engagiez votre tante, si mes vues lui sont agréables, à sonder les dispositions de votre oncle à votre égard. Loin de désirer pourtant qu’il diminuât son bien-être pour augmenter le vôtre, je suis tout prêt à faire des sacrifices sur le mien pour rendre sa vieillesse plus aisée, si l’état actuel de ses affaires le tient à l’étroit. Vous me connaissez assez pour compter sur de pareilles avances. Mais si sa tendresse pour vous le portait à vous avantager, mon intention n’est jamais de vous faire succéder aux possessions qu’il vous abandonnera que dans le cas où, par sa mort, il ne pourrait plus en jouir lui-même, et puisqu’au décès, ce qu’on donne va bientôt cesser d’être à nous de façon ou d’autre, je ne crois pas qu’il soit malhonnête de solliciter de pareils bienfaits auprès d’un oncle qui doit vous servir de père en vous mariant et qui doit attendre de vos attentions et de vos soins une vieillesse agréable. Avec des assurances de ce côté, nous pouvons conclure notre heureux mariage, ma chère Pauline, et regarder l’argent envoyé comme une pierre d’attente jetée sur l’avenir pour le rendre meilleur, s’il est possible, mais dont les futurs bienfaits de votre oncle seront le dédommagement en cas de perte. Réfléchissez mûrement à tout ce que je vous écris. Donnez-moi votre avis en réponse. Ma tendresse pour vous aura toujours le pas sur tout, même sur ma prudence. Mon sort est entre vos mains ; le vôtre est dans celles de votre oncle. »


Réduite à sa plus simple expression, cette lettre à périphrases si-