Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/499

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


Cette première lettre n’était pas très engageante ; elle avait été remise à Pauline et retirée avant qu’elle eût le temps d’y faire réponse. Beaumarchais la lui renvoie le même jour, en y joignant la seconde que voici :


« Vendredi soir.

« Je vous ai fait demander une réponse par écrit. Vous avez envoyé après ma sœur pour lui demander la lettre à laquelle vous promettiez réponse. Elle a cru devoir vous la retirer et me la remettre. Je vous la renvoie, en vous priant de la lire avec attention et d’y répondre formellement. Je désirerais bien que personne ne fût entre vous et moi, afin que je pusse compter sur la vérité de vos déclarations. Je vous renvoie le paquet de vos lettres. Si vous les gardez, vous joindrez les miennes à votre réponse. La lecture de vos lettres m’a attendri, je ne veux plus éprouver cette peine ; mais, avant que de me répondre, examinez bien ce qui vous est le plus avantageux, tant pour votre fortune que pour votre bonheur. Mon intention est que, oubliant tout, nous passions des jours heureux et tranquilles. Que la crainte de vivre avec des gens de ma famille qui ne vous plairaient point n’arrête pas votre sensibilité, si une autre passion ne l’a pas éteinte. Mon intérieur est arrangé pour que soit vous, soit une autre, ma femme soit maîtresse paisible et heureuse chez moi. Votre oncle m’a ri au nez quand je lui ai reproché qu’il m’était opposé. Il m’a dit que son opinion était que je ne devais pas craindre d’être rejeté, ou que la tête avait tourné à sa nièce. Il est vrai qu’à l’instant de renoncer à vous pour jamais, j’ai senti une émotion qui m’a appris que je tenais plus à vous que je ne le croyais. Ce que je vous mande donc est de la meilleure foi du monde. Ne vous flattez pas de me jamais donner le chagrin de vous voir la femme d’un certain homme. Il faudrait qu’il fût bien osé pour lever les yeux devant le public, s’il projetait d’accomplir sa double perfidie. Pardon si je m’échauffe ! Jamais cette pensée ne m’est venue, que tout mon sang n’ait bouilli dans mes veines[1].

« Mais, quelle que soit votre résolution, je ne dois pas l’attendre, car j’ai suspendu toutes mes affaires pour me livrer encore une fois à vous. Votre oncle m’a représenté combien ce mariage était peu avantageux pour moi, mais je suis bien loin de m’occuper de ces considérations. Je veux vous devoir encore une fois à vous-même, ou que tout soit dit pour la vie. Je compte sur votre discrétion pour tout autre que votre tante. Vous concevez que j’aurais de furieux griefs contre vous, s’il me revenait que vous avez abusé de ce secret[2]. Personne au monde ne se doute que je vous ai écrit. J’avoue qu’il me serait doux, pendant que tous les ennemis sommeillent, que la paix se conclût entre nous. Relisez vos lettres, et vous concevrez si j’ai dû retrouver au fond de mon cœur tous les sentimens qu’elles y avaient fait naître. »


La réponse de Pauline est beaucoup plus laconique et beaucoup

  1. Toujours le chevalier de S… Voilà du moins quelque chose d’un peu expressif, mais c’est toute la dose d’Othello que j’ai trouvée dans les lettres de Beaumarchais. Du reste, tout le passage me semble indiquer ici le désir sincère d’épouser.
  2. Quel besoin de mystère ? Est-ce une inquiétude de vanité ou quelque autre cause qui produit cette préoccupation ? C’est ce que le dossier n’éclaircit pas.