Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/549

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand le soldat Jacob accourt tout essoufflé, prend le voleur au collet et le conduit devant le juge. Celui-ci lit le décret à haute voix : dès-lors le Juif confesse impudemment son vol, il a le diamant dans son estomac, c’est lui qui le rapportera au prince et obtiendra la récompense. — Ce sera moi! dit le juge. — Ce sera moi! dit Jacob. — Ce sera moi! dit le chirurgien : le premier ici, c’est celui qui tient le scalpel. — Il a raison, car, malgré les bouffonnes protestations de Benjamin, l’opération a été déclarée nécessaire. A l’œuvre, et point de pitié! Mais le voleur, pour gagner du temps, a caché en lieu sûr les instrumens du docteur; pendant que celui-ci court en chercher d’autres, Benjamin est enfermé dans la prison, et il y est à peine depuis un instant que le geôlier se présente, un grand couteau à la main, afin de pratiquer l’opération lui-même et de gagner la somme promise. Seulement ce n’est pas dans la prison qu’il veut disséquer son homme; il propose au Juif de lui rendre sa liberté, et tous deux partent ensemble. Les voilà dans la forêt voisine, et déjà le geôlier aiguise son couteau, quand le malheureux Juif lui dit en suppliant : Épargne-toi cette boucherie ! — et il donne à son bourreau le premier caillou qu’il trouve sous sa main. Ainsi s’enflamment toutes les cupidités, ainsi se croisent toutes les passions à la poursuite de l’or. Finalement elles sont trompées. Quand le talisman est rapporté au roi, il est impossible de savoir si le Juif a donné le diamant ou une pierre fausse. C’est pour courir après une vaine apparence que chacun a oublié son devoir et que la convoitise a mis en mouvement toutes ces figures grotesques.

Voilà, il faut en convenir, un genre de comédie dont nous ne sommes pas les juges compétens. Cette pièce, qui a été représentée à Kremsier avec un grand succès et qui a obtenu de nombreux suffrages dans toutes les contrées de l’Allemagne, eût été à peine supportable chez nous au théâtre de la foire. Qu’importent l’esprit, l’intention, la moralité cachée, si le poète s’abaisse à des trivialités cyniques? La fine ironie, en vérité, et la délicate invention : un mal d’entrailles en cinq actes! Judith avait montré les tragiques excès de cette imagination sans frein; on sent ici dans sa verve comique une violence toute semblable, et, chose singulière, ce manque absolu de délicatesse est uni aux plus subtils raffinemens. Quelle est l’idée fondamentale de la pièce? Le poète veut nous montrer par ses peintures bouffonnes la vanité de ce qui agite l’espèce humaine, le néant de ses espérances et de ses passions; or cette pensée tout abstraite est exprimée ici, non par des réalités, mais par un moyen fantastique, par un talisman fabuleux mêlé à je ne sais quelle fabuleuse histoire. Le diamant de M. Hebbel est l’abstraction d’une abstraction et le symbole d’un symbole.

Au milieu de ces incroyables méprises, ne sentez-vous pas cependant une intelligence hardie et toujours prête à défier les obstacles?