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je te mordrai encore au talon. (Il appelle.) Joab! rends-toi à Bethléem, va trouver le capitaine qui commande la ville, et dis-lui que l’enfant miraculeux... Non, il ne le découvrirait pas; tout le monde ne voit pas l’étoile, et ces rois sont aussi dissimulés qu’ils sont pieux... Ordonne-lui de faire égorger sur l’heure tous les enfans nés depuis l’année dernière, tu m’entends? Que pas un seul n’échappe !

JOAB. — J’obéis, maître. (A part.) Je sais le motif qui lui dicte cet ordre, mais Moïse a été sauvé malgré Pharaon.


Il est impossible de nier la vivante énergie de ces deux figures, Hérode et Marianne; voilà bien l’implacable égoïsme de l’amour et ses raffinemens mêlés de fureurs sauvages! Ce mot n’est pas trop fort : oui, tout est sauvage dans cette pièce, non-seulement la passion insensée de l’époux, mais aussi la dignité de la femme. La violence effrénée des sentimens et l’analyse quintessenciée du cœur, tel est décidément le caractère de M. Hebbel. Le grand défaut de l’ouvrage, en admettant même la poétique de l’auteur, ce sont les lenteurs de l’action. La pièce renferme deux épisodes, deux épreuves qui se suivent coup sur coup, et dont la seconde n’est que la reproduction plus vive de la première. Le nœud du drame, qui semblait délié, se resserre de la même façon au second départ d’Hérode, et ce retour d’une situation toute semblable, quoiqu’il ait pour but d’amener la catastrophe, répand de la monotonie sur une œuvre étincelante d’ailleurs de beautés inattendues et pleine d’un pathétique original.

Ces beautés toutefois n’attestaient pas un progrès : Hérode et Marianne était au contraire un pas de plus dans une voie malheureuse. Ce qui avait fait le succès de Judith, c’était la surprise causée par ces innovations audacieuses non moins que l’incontestable talent du poète : à mesure que le charme de la nouveauté s’effaçait, on devenait plus sévère. Pourquoi un talent si vigoureusement doué s’obstinait-il dans le faux? ne pouvait-il se débarrasser des paradoxes et des prétentions de ses débuts? ne pouvait-il mieux employer sa force, mettre les passions aux prises sans mélange de dialectique ambitieuse, créer enfin des hommes vrais et non des personnages de fantaisie, dont les plus tragiques émotions ont toujours pour fondement des sentimens impossibles et des subtilités outrées? Sans doute Marianne est terrible en ses colères; mais, si le langage du poète n’était pas si enflammé, s’il ne donnait pas à son héroïne toute l’énergie de son imagination brûlante, quel serait le rôle de cette singulière femme? Un rôle parfaitement à sa place dans les salons où Clélie expliquait la carte du Tendre. Marianne est une précieuse, seulement c’est une précieuse véhémente et tragique. Les sentimens qu’elle exprime sont-ils moins ridicules au fond, parce que le ridicule est dissimulé sous la prestigieuse puissance de l’écrivain? De tels défauts devaient peu à peu réveiller la