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sérieux. Ce qui doit donner de l’espoir, c’est que, de Judith à Agnès Bernauer s’il y a bien des méprises et des avortemens, le poète aboutit cependant à un progrès manifeste. Il avait commencé par un drame symbolique, par un mélange inoui d’émotions sincères et de mystiques raffinemens, et il croyait que cette forme bizarre était destinée à la rénovation du théâtre. Quel est le sens de son dernier ouvrage? L’essai d’une poétique nouvelle. Du symbolisme de ses premiers écrits il reste seulement la pensée, une pensée énergique et nette, qui domine le mouvement du drame sans l’offusquer jamais. Le symbolisme répandait de vagues ténèbres sur les plus vives peintures de l’auteur; la pensée, plus simple désormais, sans cesser d’être profonde, éclaire et agrandit toute la scène. Puisse le poète d’Agnès Bernauer apprécier lui-même avec une clairvoyance de philosophe et d’artiste cette transformation de son talent! Nous persistons à croire que ce n’est pas chez lui une rencontre heureuse, mais le progrès d’une intelligence qui se possède.

La simplicité! telle doit être la préoccupation de celui qui a écrit Judith. Je n’ai pas eu le temps d’être court, disait Pascal; que M. Hebbel se donne le temps d’être simple, qu’il élague les branches trop touffues, qu’il réduise sa pensée à l’expression la plus mâle. Pourquoi se plairait-il encore aux subtilités mystérieuses? Cela peut convenir aux esprits mal sûrs d’eux-mêmes; M. Hebbel est trop riche de son propre fonds pour s’amuser à de telles recherches. Le brillant poète, nous le savons, travaille depuis longues années à un drame qui doit être dans sa carrière d’écrivain ce qu’est le Faust dans l’œuvre de Goethe. Le sujet en est magnifique, et atteste toujours ce généreux essor d’un esprit habitué à planer sur les cimes. M. Hebbel, après ses méditations dramatiques sur la vie, sur les passions, sur la grandeur de l’état et l’idéal des sociétés humaines, est arrivé naturellement à la conclusion de Bossuet. La piété est le tout de l’homme, s’écrie l’orateur chrétien, et cette simple et énergique formule, inscrite dans le dernier de ses discours, est le résumé complet des Oraisons funèbres. C’est aussi à l’expression de cette pensée que M. Hebbel a consacré le plus cher et le plus important de ses poèmes. Agnès Bernauer proclamait la majesté de l’état; Moloch proclamera la fécondité miraculeuse et l’irrésistible puissance de la religion. La religion ! elle est supérieure à tout. Prenez-la sous sa plus vulgaire enveloppe : si l’idée de Dieu s’y fait jour, si le cœur de l’homme est touché et que la piété s’éveille, cela suffit; il y a là de quoi nourrir un monde. Moloch est une divinité africaine que le général Hiéram, après la chute de Carthage, a transportée à Thulé. Hiéram, à l’aide de cette idole, civilise les sauvages habitans de l’île; il les dompte, il les adoucit, il les élève. L’état se constitue, la société s’organise, et la religion, tout informe qu’elle est,