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est le foyer de cette vie nouvelle. Est-ce par amour du genre humain que Hiéram a porté son dieu chez les barbares? C’est pour créer un peuple et l’enchaîner à sa fortune. Or, le jour où son égoïsme se démasque, le jour où il veut que Moloch devienne l’instrument de ses desseins, il s’aperçoit qu’il s’est donné un maître. Hiéram meurt, persuadé que la pensée religieuse, si dénaturée et si grossière qu’on l’imagine, est plus forte que le plus puissant des mortels. Cette œuvre, dont M. Hebbel a déjà terminé deux actes, doit être, on nous l’assure, la création capitale de sa carrière poétique; il y met son cœur et son ame. Quand on a de telles ambitions, quand on a l’instinct de la grande poésie et qu’on se mesure hardiment avec les plus hauts sujets de la pensée, les bizarreries prétentieuses ne sont-elles pas un non-sens? M. Hebbel est trop sincèrement original pour emprunter à un faux système des effets inattendus. Il est grave, il est austère; il joint à un esprit très moderne un merveilleux sentiment des lois éternelles; il y a en lui du patricien, et, quoiqu’il soit ardemment libéral, toutes les folies démagogiques sont châtiées dans ses drames. Qu’il rehausse ces inspirations par l’éclat d’une poésie saine et puissante. Sa vigueur a quelque chose de maladif, et son style, si ferme et si précis en maintes rencontres, est trop souvent défiguré par de hideuses couleurs. N’oubliez pas, poète, au milieu des luttes ténébreuses dont la peinture est l’objet même de votre art, n’oubliez pas d’aspirer toujours à la beauté, à l’harmonie, à l’idéal suprême qui recouvre et qui pacifie tout! Ce qui vous manque, ce n’est pas la force, ce n’est pas la richesse et l’audace, c’est la sérénité.

Ce qui caractérise le grand artiste à l’heure où il est maître de lui-même et de son art, c’est l’espèce d’attraction féconde attachée à ses œuvres. Les amis de ce poète si vanté pour sa force s’aperçoivent-ils qu’il n’a su prendre encore aucune autorité sur son temps, M. Hebbel doit se préoccuper de ce rôle, il doit tendre à exercer une action, à rassembler les forces dispersées de la littérature dramatique. Quelle est aujourd’hui la situation du théâtre? Qu’y a-t-il autour de M. Hebbel? Où sont les groupes et les écoles? Le mouvement est actif, la direction est mauvaise. L’esthétique transcendante, je l’indiquais en commençant, a imprimé aux esprits une impulsion funeste. Les critiques auraient dû rappeler sans cesse aux écrivains comment on s’arrache aux influences qui troublent la pensée, comment on s’élève de l’intempérance à la force, comment on débute par les Brigands pour terminer par Wallenstein et Guillaume Tell. Au lieu de cela, qu’ont fait M. Roetscher, M. Vischer, esprits distingués sans doute, mais trop accoutumés aux subtilités métaphysiques pour être d’utiles législateurs? Ils ont enivré les imaginations de mystiques espérances. Tous les prétendus réformateurs de la scène allemande obéissent depuis