Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/576

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Faustina était le modèle qui posait incessamment devant le peintre ébloui; elle était la muse qui inspirait le poète ému; elle était le démon qui troublait le sommeil de l’amant et du pauvre mari, car Hasse a été toute sa vie innamorato morto de celle qui l’avait choisi pour son époux. Y a-t-il au monde une position plus délicate que celle d’un homme qui a donné son nom et son cœur à une cantatrice à la mode? Le génie, l’esprit, la renommée, la beauté même, ne suffisent pas toujours pour vous préserver contre les caprices de la fortune. Il faut une bien grande dose de philosophie pour voir sans inquiétude la femme qu’on aime exprimer à d’autres que soi les plus vifs sentimens de l’ame. Je sais bien qu’une cantatrice n’est, après tout, qu’une comédienne qui s’inspire à froid d’une pensée qu’on lui a communiquée, et dont elle est chargée de rendre le sens avec plus ou moins de vérité; mais qui peut dire où s’arrête la fiction dans les arts et où commence l’émotion réellement éprouvée? Le paradoxe de Diderot sur le comédien est insoutenable, et Talma en a fait depuis long-temps une réfutation qui ne laisse rien à désirer. Une cantatrice d’ailleurs occupe dans les arts d’imitation un rang plus élevé que la comédienne proprement dite; elle plonge plus avant dans les sources de sa propre sensibilité, et le son qui s’échappe de sa bouche frémissante est plus qu’un artifice de vocalisation. Dans un opuscule ingénieux, où Lemontey a tracé d’une main un peu lourde la physionomie de la danseuse, de la femme peintre et de la cantatrice, il termine son parallèle par cette conclusion qui renferme moins de malice que de fine observation : « L’amour, dit-il, est l’affaire d’une danseuse, le rêve d’une artiste, et la vie d’une cantatrice[1]. »

Hasse était un trop grand artiste pour ignorer cette vérité, et il était trop amoureux de sa femme pour ne pas s’inquiéter du nombre toujours croissant d’admirateurs qui venaient se grouper chaque soir autour de cette incomparable sirène. Aussi, soit que son cœur ait manqué de courage en face du danger, soit plutôt qu’on lui eût fait comprendre qu’un voyage en Italie ferait du bien à son talent. Hasse s’éloigna de Dresde en 1733, laissant derrière lui la trop charmante Faustina, dont il emportait l’image au fond de son cœur. Il parcourut en effet l’Italie, il visita de nouveau Naples, Milan, Venise, en composant des opéras qu’on accueillait toujours avec la même faveur, mais dont le succès ne suffisait plus au bonheur de sa vie. C’est à Dresde que se trouvait l’objet de ses préoccupations, et c’est là qu’il accourait toujours plein d’espérances et d’inquiétudes. Hasse fut appelé aussi en Angleterre pour y continuer la lutte acharnée dont Londres était resté le théâtre. Lorsqu’on lui fit cette proposition, Hasse s’écria avec une modestie

  1. Œuvres de Lemontey, vol. IIe, p. 226.